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la vie d’un mot qui mette en relief le seul caractère qui, à ses yeux, distingue nettement la science biologique, ne trouve pour bien exprimer sa pensée qu’un seul mot : création[1]. L’organisme, une fois créé, est une machine qui fonctionne nécessairement en vertu des propriétés physiques et chimiques de ses élémens constituait ; mais ce que la science positive n’explique pas et n’expliquera jamais, de l’aveu du savant physiologiste, c’est le commencement, le comment de cet organisme. Là est le problème que la matière brute, réduite à elle-même et à ses propriétés, ne résout pas. Ce qui caractérise la machine vivante, dit expressément M. Claude Bernard, c’est non pas la nature de ses propriétés physico-chimiques, si complexes qu’elles soient, mais bien la création même de cette machine qui se développe sous nos yeux dans les conditions qui lui sont propres et d’après une idée définie qui exprime la nature de l’être vivant et l’essence intime de la vie. Dans tout germe vivant, il y a ainsi une idée créatrice qui se développe et se manifeste par l’organisation, qui ne relève ni de la physique ni de la chimie, qui n’appartient qu’au domaine de la vie.

C’est cette idée, « directrice de l’évolution vitale, » qui crée dans l’organisme vivant l’unité centrale, la solidarité intime des parties, le consensus, l’harmonie de l’ensemble, toutes choses complètement étrangères aux lois du monde inorganique ; c’est elle qui préside au développement de l’être dans le sens de sa destination. Aussi, tandis que le physicien et le chimiste étudient les corps et les phénomènes isolément, pour eux-mêmes, le physiologiste et le médecin ne peuvent et ne doivent jamais oublier que l’être vivant forme un organisme et une individualité, d’où il résulte que, si la notion de causes finales reste nécessairement étrangère aux études du chimiste et du physicien, il ne peut en être de même pour le physiologiste, que ses études inclinent à admettre une finalité harmonique et préétablie dans le corps organisé, en raison de cette unité centrale qui rend toutes les actions partielles solidaires et génératrices les unes des autres[2]. — La vie est donc autre chose qu’une résultante des forces et des propriétés physico-chimiques dans des circonstances données. Elle précède le développement des propriétés organiques, lesquelles ne s’expliquent que par elle. Voilà d’un seul coup le commencement de la vie mis en dehors de la série des phénomènes matériels. Voilà en même temps et du même coup la finalité rétablie dans ses droits et à sa vraie place par un savant qui a passé tant d’années à observer les phénomènes vitaux. Voilà des causes sourdes rencontrées à la limite de la science

  1. Introduction à la Médecine expérimentale, p. 161.
  2. Ibid., p. 152, 161, etc.