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tous les phénomènes, qu’ils soient vitaux ou minéraux, nous restera toujours inconnue. La connaissance de la nature intime ou de l’absolu, dans le phénomène le plus simple, exigerait la connaissance de tout l’univers, car il est évident qu’un phénomène de l’univers est un rayonnement quelconque de cet univers dans lequel il entre pour sa part. La vérité absolue, dans les corps vivans, serait encore plus difficile à atteindre, car, outre qu’elle supposerait la connaissance de tout l’univers extérieur, elle exigerait aussi la connaissance complète de l’organisme, qui forme lui-même un petit monde dans le grand univers. La connaissance absolue ne laisserait rien en dehors d’elle, et ce serait à la condition de tout savoir qu’il pourrait être donné à l’homme de l’atteindre dans le plus simple phénomène[1].

Enfin, pour quiconque a le sentiment de la méthode scientifique, comment refuser de se ranger à cette règle que proclame le livre entier et qui en est comme la conclusion naturelle, à savoir que la science positive ne doit se rattacher à aucun système philosophique ; que le rôle du savant est de chercher la vérité pour elle-même sans vouloir l’employer à servir de contrôle, à tel ou tel système ; que, s’il a le malheur de prendre pour guide un système, ou bien il s’égare dans des régions trop loin de la réalité, ou bien son esprit prend une sorte d’assurance trompeuse et une inflexibilité qui s’accorde mal avec la liberté et la souplesse que doit toujours garder l’expérimentateur dans ses recherches ? Donc, pour l’expérimentateur, il ne saurait y avoir ni spiritualisme ni matérialisme. Ces mots appartiennent à une philosophie naturelle qui a vieilli ; ils tomberont en désuétude par le progrès même de la science. Les causes premières ne sont point du domaine de la science positive. Nous ne connaîtrons jamais ni l’esprit ni la matière, et d’un côté comme de l’autre on arrive bientôt à des négations scientifiques[2]. — Par les procédés de la science positive en effet, nous n’arriverons jamais à la connaissance du fond intime des choses, ni au secret de leur essence, atome ou monade, esprit ou matière, ni à leur principe et à leur origine, Dieu ou la nature, l’évolution dialectique de l’idée ou la source du mouvement innée à la molécule. Toutes ces questions et les autres semblables appartiennent à un autre ordre de connaissances, où le déterminisme scientifique ne pénètre pas.

Telle est l’expression rigoureuse des principes de l’école expérimentale. Nous pouvons saisir déjà ce qu’il y a de commun entre cette école et le positivisme, qui n’en est qu’une dérivation. Comme l’école expérimentale, mais non en termes plus forts ni

  1. Introduction à la médecine expérimentale, p. 141.
  2. Ibid., p. 113 et 386,