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sciences biologiques que dans les sciences physico-chimiques. Là est une des nouveautés principales de ce livre. L’auteur repousse absolument de la science telle qu’il l’entend l’idée de l’indéterminé. La médecine n’est une science qu’à la condition qu’elle se soumette à cette première loi de toute science. Donc, chez les êtres vivans aussi bien que dans les corps bruts, les conditions d’existence de tout phénomène sont déterminées d’une manière absolue. Là comme ailleurs, la condition d’un phénomène une fois connue et remplie, le phénomène doit se reproduire toujours et nécessairement à la volonté de l’expérimentateur.

Tel est le principe de cette nouvelle logique de la méthode expérimentale que l’auteur lui-même résume ainsi : dans tout ordre de sciences physiques et naturelles, il n’y a pour nous que des phénomènes à étudier, les conditions matérielles de leurs manifestations à connaître, et les lois de ces manifestations à déterminer.

Ainsi expliqué, le principe du déterminisme ne soulève pas une seule objection. C’est le critérium scientifique par excellence, et dans l’ordre des phénomènes physico-chimiques comme dans l’ordre des phénomènes vitaux il s’applique sans restriction. Il n’y a de science positive qu’à cette condition. Le progrès de chaque science expérimentale se mesure exactement sur les applications nouvelles et l’extension de plus en plus large de ce principe. Le positivisme n’a rien ici à réclamer pour sa part. Il ne s’agit que de méthode positive, ce qui est bien différent, et dans ces limites le principe du déterminisme est inattaquable. Il n’appartient pas à une école, il est la règle et la lumière de la science.

C’est à la clarté de ce principe qu’il faut lire certaines propositions auxquelles, je le sais, on pourrait attribuer une tout autre portée, mais que je considère pour ma part comme étant des suites et des dépendances logiques de ce principe. Quand M. Claude Bernard nous dit « que l’essence des choses doit nous rester toujours ignorée, que nous ne pouvons connaître que les relations de ces choses, non les choses elles-mêmes, et que les phénomènes sont non pas la manifestation de cette essence cachée, mais seulement les résultats des relations des choses entre elles[1], » remarquons qu’il parle des essences et des phénomènes matériels, et que ce serait détourner ces fortes expressions de leur sens légitime que de les appliquer aux réalités et aux phénomènes d’un autre ordre, qui ne sont pas ici en question. Cette observation est de la dernière importance pour qui veut lire l’ouvrage de M. Bernard et n’y trouver exactement que ce que l’auteur a voulu y mettre. Lui-même prend soin de délimiter les applications de cette règle. « La nature de notre

  1. Introduction à la Médecins expérimentale, p. 114.