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les édits d’exclusion que la métropole ne se faisait pas faute de rendre, ni la persistante hostilité des habitans, ni le lugubre retentissement des drames que nous venons de rappeler. Manille n’était qu’à trois jours de la côte de Chine, et, l’orage une fois passé, quelques années suffisaient à l’indestructible communauté pour renaître de ses cendres, aussi vivace, aussi active et aussi industrieuse qu’auparavant ; le chiffre de la population s’élevait à vue d’œil avec une surprenante rapidité, et la prospérité générale suivait la même marche ascendante. Aujourd’hui l’animosité espagnole ne se manifeste plus que par des augmentations de taxes, regrettables sans doute, mais dont les Chinois ont fini par prendre leur parti. Cependant en 1828, à Tondo-Cavite, on en vit 800 sur 5,708 quitter l’île plutôt que de supporter un accroissement d’impôt qui pouvait aller jusqu’à 50 francs par mois ; 1,083 s’enfuirent dans les montagnes, et 483, qui n’avaient pas de quoi payer leur rapatriement, furent condamnés aux travaux publics. On ne modifia ces dures règles de fiscalité qu’en 1834. Encore ne le fit-on qu’en conservant une surtaxe pour les métis issus du mariage des Chinois avec les femmes indigènes ; les Indiens et les Tagals paient 10 francs par an ; les sangleyes en paient 18. Ce n’en est pas moins en cette population métisse que gît l’avenir de la colonie, car le Chinois n’émigre nulle part avec l’intention de se fixer définitivement, à Manille pas plus qu’ailleurs. Son expatriation n’a pour but que de rentrer au foyer avec une aisance relative de 2 ou 3,000 dollars ; mais il est rare que pendant ces années d’exil, à défaut de Chinoises, il ne contracte pas, avec quelque femme du pays, une union toujours féconde, pour laquelle il recourt sans scrupule aux consécrations du culte catholique, et ses enfans tiennent de lui bien plus que de leur mère. Économes et laborieux, ils héritent des qualités du père, tant au moral qu’au physique, et c’est par eux, par cette constante infusion d’un sang nouveau et plus riche, que sera peu à peu régénérée la population tagale de l’archipel des Philippines. Un de leurs proverbes favoris montre à quel point eux-mêmes ont conscience de leur supériorité sur cette dernière race, qu’il faut mener, disent-ils, une poignée de riz dans une main et un bâton dans l’autre. Ces Chinois si décriés n’ont fourni à la justice de la colonie, pendant la dernière période quinquennale relevée, que quatorze prévenus, dont onze pour vol, deux pour faux, et un comme incendiaire. Un recensement évalue en 1858 leur nombre à 78,000, chiffre probablement au-dessous de la vérité.

L’histoire des Chinois à Java offre plus d’un point de ressemblance avec celle que nous venons de voir à Manille. Établis dans l’île avant la découverte en 1596, ils s’adonnaient avec un égal