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de concerts, annoncées de loin par les sons d’une musique discordante et par d’énormes lanternes de papier aux dessins hiéroglyphiques. Ils y avaient même une sorte de bourse pour leur usage spécial. Cette faculté de se transporter ainsi tout entière à l’étranger, avec ses idées, ses coutumes et ses mœurs, est l’un des plus sûrs caractères qui dénotent chez une race la tendance innée à l’émigration. Un trait curieux et touchant de ce culte des vieux usages est le soin pieux avec lequel les Chinois renvoient parfois en Chine les restes de leurs parens, malgré les frais considérables de ce transport exceptionnel. En 1856, un bâtiment rapporta de la sorte 300 cadavres à Hong-kong, au pays des ancêtres, et un journal américain de San-Francisco, à la plaisanterie un peu féroce, enregistrait ce fait divers dans les termes suivans : « La Californie ne connaît point de rivale dans le commerce du Chinois ; elle en a le monopole. Nous l’importons vivant, à l’état brut ; nous le renvoyons manufacturé, mort. »

Ces nouveau-venus, ces celestials, comme les appelaient dédaigneusement les Américains, avaient été fort mal reçus aux mines, et ils s’y virent dès l’origine en butte à une malveillance des moins justifiées. Bien qu’ils payassent régulièrement l’impôt frappé sur les mineurs étrangers (et ils étaient peut-être les seuls à acquitter ce droit), bien qu’ils sussent se contenter des fouilles dédaignées par tout le monde, telles par exemple que la dure exploitation des rivières détournées de leur lit, ils n’en étaient pas moins les parias des placers. Cet hostile et mesquin esprit de jalousie fut poussé si loin qu’en 1853 le gouverneur Bigler ne rougit point de demander à la législature une loi qui interdît leur débarquement dans le pays. Les Chinois répondirent à cette attaque par une adresse où leurs adversaires eux-mêmes furent forcés de reconnaître un modèle de logique, de modération et de bon sens, et d’ailleurs la législature refusa son concours à cet acte de proscription ; mais le projet revint sur le tapis en 1858. La législature, de nouveau mise en demeure de se prononcer, céda cette fois à la pression de l’opinion, et les Chinois n’obtinrent définitivement gain de cause que grâce à ce que la haute cour eut le bon esprit de déclarer la mesure inconstitutionnelle. Le rapporteur du projet de loi avait fait de son travail un véritable réquisitoire, qui montre jusqu’à quel point la passion avait aveuglé en cette circonstance l’esprit ordinairement si juste des Américains. Après avoir reproché aux émigrans d’être étrangers aux mœurs yankees, de vouloir rester tels, de parler chinois et non anglais, après les avoir chargés de maints autres griefs tout aussi fondés, il terminait ainsi : « Notre état est encombré par cette population impuissante à exercer des droits civiques. Sa présence ne