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en guerre avec la France se hâtaient de jeter à la maison de Savoie pour la détacher de l’alliance française. Ainsi, perdue ou recouvrée, par elle-même ou par ce qu’elle apportait avec elle, la Savoie a été la source de la prodigieuse fortune royale qui remplit aujourd’hui l’Italie. Ne semble-t-il pas que son rôle historique ait été de travailler sans cesse à la grande œuvre de l’Italie nouvelle ? Elle y a travaillé par cette vaillante et rusée dynastie sortie de son sein, dont la politique n’a pas cessé de graviter depuis trois siècles autour de ces trois idées immuables que nous avons signalées. Elle y a travaillé par cette légion d’hommes d’état, de ministres, d’ambassadeurs et de soldats qui ont franchi le Mont-Cenis. Elle y a travaillé, il est vrai, souvent à son insu et quelquefois même contre son gré ; mais c’est alors que son travail a été le plus utile. Les résistances même qu’elle a opposées à la politique italienne ont servi l’Italie. C’est par suite de ses efforts séculaires pour retenir aux Alpes une dynastie qu’elle aimait que la Savoie a été rejetée vers la France, et qu’elle a par son annexion volontaire mis la dernière main à l’œuvre nationale, délivré son souverain du contre-poids qui le retenait aux Alpes, et du même coup enchaîné l’honneur et les intérêts de la France à l’achèvement de l’Italie. Elle peut être doublement fière de son œuvre, fière d’être unie à la France et d’avoir si efficacement servi à la reconstitution d’une noble nation. Il lui est bien permis pourtant de sentir quelque vide depuis que cette antique race, qui avait jeté de si profondes racines dans ses montagnes, s’est éloignée sans retour.

Maintenant que l’arbre des Humbert et des Amédée est définitivement transplanté en Italie, tous ceux qui aiment véritablement cette nation, qui l’ont vue avec joie sortir rajeunie de son linceul, lui souhaitent de se tenir serrée sous cet abri. Avec la maison de Savoie, les Italiens ont pu accomplir sans révolution un des changemens les plus étonnans de l’histoire. Avec elle, ils ont acquis tous les biens qui font l’honneur du citoyen et la gloire d’un peuple, l’indépendance et l’unité nationales en même temps que la liberté de l’individu. Le jour où ils auraient la pensée de la répudier, de séparer ce que les événemens ont uni, le jour où la sagesse et le sens politique dont ils ont donné tant de preuves viendraient à leur faire défaut, ce jour-là tous ces biens seraient en péril, et il n’est que trop de raisons de craindre que la ruine de cette maison, quelle qu’en fût la cause ou l’auteur, n’entraînât celle du grand édifice si tard et si laborieusement élevé.


HUDRY-MENOS.