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palais son siège, sa faculté de théologie, ses écoles, ses presses et ses journaux, tous ses moyens d’action ; déjà ce foyer rayonne sur les points extrêmes de l’Italie. La tragédie récente de Barletta, où sept personnes ont été massacrées et brûlées sur la place publique avec les meubles de leurs maisons dévastées, atteste que la contagion de la libre pensée religieuse gagne jusqu’à ces populations du midi traditionnellement attachées à l’orthodoxie. La protestation s’amasse visiblement dans l’atmosphère morale de l’Italie, elle se condense çà et là et forme des centres indépendans. L’idée italienne, désormais triomphante des obstacles militaires et politiques, menace d’emporter aussi les obstacles d’une autre nature. Elle est entrée, en un mot, dans la phase critique où Joly d’Allery voulait pousser la maison de Savoie en caressant l’idée de la voir s’établir à jamais en-deçà des Alpes.

Mais l’exécution de la partie religieuse de son programme répugnait au tempérament de la maison de Savoie. Elle avait repoussé la réformation à la première rencontre, lorsqu’elle pouvait sans danger lui tendre la main ; il était trop tard, en 1562, pour renouer avec elle. Le catholicisme et la réformation avaient pris position dans des frontières pour longtemps fixées, d’où ils ne devaient plus sortir désormais. Emmanuel-Philibert sut résister à la tentation de profiter des divisions de la France ; mais son successeur, Charles-Emmanuel Ier, n’eut pas cette prudence. Il essaya d’accomplir la partie politique du programme d’Allery. Dans les guerres et les négociations entreprises pour la réalisation de cette idée, le sénat de Savoie déploya une activité étonnante. La monarchie lui revenait poussée par l’Espagne, et on voit, pour lui faire de la place en-deçà des Alpes, les sénateurs accepter les fonctions les plus étrangères à une compagnie judiciaire. L’un d’entre eux est employé à préparer les logemens et à lever des subsides pour l’armée ducale ; un autre, le fameux président Favre, dont la statue s’élève sur la place du palais de justice de Chambéry, est commandant général des provinces cisalpines ; il enrôle des soldats, les exerce au maniement des armes, pourvoit à leur équipement. Il est curieux de l’entendre s’expliquer sur une fonction qui semble convenir si peu à un chef de la justice, à un jurisconsulte comme lui. « Je me comparais, dit-il, aux magistrats que César déléguait autrefois pour gouverner ses provinces, et dont l’autorité représentait le souverain dans la paix et dans la guerre. » La pacifique compagnie se transforme, pour la circonstance, en une convention guerrière où tous les pouvoirs sont confondus. Les commissaires du sénat dirigent les opérations de la guerre contre Genève, et l’un de ses présidens, Charles de Rochette, est dans la ville, chargé d’endormir la