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anciens noms entourés du même prestige dans les cantons républicains de la Suisse française qui ont appartenu jadis à la maison de Savoie. Cet apaisement des esprits est le fruit de sa politique débonnaire, qui a contenu d’une main l’institution odieuse de la féodalité sans l’aigrir, et qui a relevé de l’autre la classe opprimée sans l’exciter à la révolte. Une cause plus éloignée de cet apaisement social, c’est que le servage n’a pas été dans la région burgonde le résultat de la conquête barbare comme dans la région franque. De grands esprits, entre autres Augustin Thierry, ont attribué à cette première cause des conséquences sociales qui ne sont pas encore annulées par la civilisation moderne.

Une des formes les plus curieuses de la protection accordée à la classe opprimée, c’est l’institution de l’advocatus pauperum, sorte de ministère public spécialement chargé de défendre les intérêts des indigens. Aussi ancienne que la monarchie, elle apparaît déjà dans le statut de Pierre II de 1267 ; mais elle ne reçut sa forme définitive que dans celui d’Amédée VIII en 1430. L’esprit de cette institution se révèle dans les paroles du législateur. « De crainte, dit-il, que le défaut de ressources pécuniaires n’empêche les personnes pauvres et misérables de faire valoir leurs droits, nous voulons qu’un avocat-général des pauvres réside continuellement à Chambéry, et qu’on choisisse pour cet office un homme capable et de grande probité. Il défendra les causes des gens dénués de fortune par-devant nos conseils, nos tribunaux et même les tribunaux ecclésiastiques. Il sera payé par nous et n’exigera rien des parties[1]. » Lors de la création du sénat de Savoie, en 1559, ce fonctionnaire fut élevé au même rang que le chef du parquet ; il eut comme celui-ci sous ses ordres des fonctionnaires subalternes. La défense du pauvre fut ainsi égalée pour l’honneur et les appointemens à la défense de la société. Très utile dans les temps d’oppression, où la grande masse de la population, exclue de la propriété du sol, vivait sous le poids d’une profonde misère, cette institution a fini par être une superfluité dangereuse dans les conditions économiques de la société moderne. De 1815 à 1848, elle a fourni un élément à la passion ruineuse des procès au sein de la classe indigente. Elle n’en révèle pas moins cette secrète sympathie qui inclinait la maison de Savoie vers les classes opprimées. Celles-ci se sont senties attirées par cette sympathie, et elles y ont répondu par des sentimens de fidélité qui ont survécu à tous les événemens, et qui ont fait sa force contre les hauts barons et les hobereaux.

Il est un autre genre de féodalité dont elle n’a pas eu aussi

  1. Statuta Sabaudiœ. De Advocatu pauperum.