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Avancés peu à peu et à grand’peine au travers de cette haute futaie féodale sans couper ni abattre à la façon de Louis XI, se contentant d’émonder les branches les plus nuisibles, attentifs et bienveillans aux faibles, accordant aux bourgeois des villes et des bourgs murés ces chartes, ces franchises que l’archéologie recueille aujourd’hui avec un si vif intérêt, étendant enfin jusqu’aux populations sans défense des campagnes les soulagemens et les garanties que comportait la dureté des temps. Naturellement inclinés vers les petits et les opprimés, ils ont prêté l’oreille au cri de douleur des pauvres gens que la féodalité opprimait, comme plus tard à celui d’une nation foulée par l’étranger, et ils sont venus à leur secours par ces chartes municipales qu’on rencontre partout sur la voie de leurs agrandissemens.

On a beaucoup agité la question de savoir si les libertés communales sont antérieures à la formation de la monarchie, ou si c’est la monarchie qui les a fondées. La question nous paraît tranchée, du moins dans les limites du second royaume de Bourgogne : toutes les chartes dont les princes de Savoie y ont semé leur route sont des confirmations de franchises anciennes et de droits préexistans. Le municipe gallo-romain que nous avons vu distribuer aux Burgondes les terres vacantes, après une disparition momentanée, se reforma de bonne heure sous l’abri de la monarchie de Rodolphe, qui faisait obstacle à l’établissement féodal. Le principe constitutif de la féodalité, savoir l’hérédité des offices et des bénéfices publics, reconnu par la monarchie franque dès l’année 889, ne fut admis au pied des Alpes qu’en 1037 par Conrad le salique, lorsque celui-ci prit possession du royaume ; et bien que, son principe une fois reconnu, la féodalité n’eût pas tardé à couvrir le pays de ses innombrables rejetons, on vit cependant l’antique liberté éclore et l’emporter partout à l’arrivée de la maison de Savoie. Elle se fait sa place, elle éclate et se maintient jusqu’en rase campagne, loin des villes, là où lui manque la protection de fortes murailles. L’historien s’arrête avec étonnement devant ces populations rurales du XIIe siècle cantonnées dans les hautes vallées de la Savoie, indépendantes, s’administrant elles-mêmes la justice, véritables oasis de liberté au milieu de la servitude universelle. Sous le règne du duc Louis II, vers 1450, elles furent saisies d’une émotion étrange. L’esprit qui formait alors les ligues des premiers cantons de la Suisse souffla aussi sur le revers du Mont-Blanc, y réchauffa les neiges éternelles et en détacha, s’il est permis de s’exprimer ainsi, une avalanche humaine. Ces populations descendirent en armes la longue vallée de l’Arve, mais elles vinrent se briser, au débouché de la vallée sur la plaine, contre le pouvoir populaire et dès longtemps