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amoureux de la force, l’embrassèrent et en firent la religion de leur empire. Le droit commun a toujours été considéré comme une tyrannie par les clergés qui aspirent à la domination. Le clergé catholique pardonna aux Francs leurs violences barbares : ces grandes destructions rappelées par Grégoire de Tours, incendies d’églises et de couvens, massacres de prêtres et de moines, il pardonna tout, même son propre abaissement devant des conquérans féroces et encore à demi païens ; mais les Burgondes naïfs et désintéressés, mais leur roi Gondebaud, le premier barbare qui ait compris l’égalité des races et des cultes, furent pour lui l’objet d’une haine mortelle, source principale des malheurs qui fondirent sur la Burgondie. Les évêques tentèrent d’abord de la convertir à l’idée de la religion d’état ; n’ayant pu y réussir par la discussion, ils s’agitèrent, recoururent aux moyens violens, signèrent le manifeste séditieux de Langres, et finirent par appeler les Francs. La race burgonde, bien que dénuée des qualités guerrières de ceux-ci, repoussa leurs premières attaques sous la conduite de Gondebaud ; mais sous son faible successeur, balayée des plaines de la Saône et du Doubs par la cavalerie franque, elle se replia vers les Alpes, où elle fut vaincue par les fils de Clovis.

Si la douceur était un moyen de succès politique, le peuple burgonde aurait fondé un royaume durable ; mais en perdant son indépendance il ne périt pas tout à fait. Un historien savoyard[1] dit que la chute du premier établissement burgonde fut moins un changement de mœurs et de lois qu’un changement de dynastie. Le vaincu garda sa loi, cette fameuse loi Gombette adoptée à Genève en l’an 500 dans une assemblée où le Gallo-Romain entra sur le pied d’égalité avec le Burgonde, et promulguée à Lyon l’année suivante par le roi Gondebaud, dont elle porte le nom. Le grand principe qui la domine, c’est l’égalité des races ; una conditione teneantur Burgundio et Romanus, dit-elle au titre X. Les peines sont appliquées sans distinction de race et de condition : elle est bien différente en cela de la loi des Francs, qui mesure la pénalité sur la condition et la race du coupable ; mais ce qui la distingue de toutes les législations, même modernes, c’est qu’elle ignore absolument la religion et n’en parle qu’à la fin dans un supplément, pour recommander la tolérance de tous les cultes et le respect de tous les ministres du culte : in nullo penitus contemnantur ecclesiœ aut sacerdotes. Cette loi, remarquable monument d’équité pour ces temps de violence et de barbarie, a survécu longtemps malgré les

  1. Montmélian et les Alpes, par Léon Ménabéra ; Chambéry 1844. — L’auteur de cette remarquable étude est le frère du général-diplomate de ce nom.