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de ce côté-ci de la Manche ou de l’autre, l’étude de la chaleur indique nettement l’esprit de la solution qui doit intervenir. Tant que l’on n’a considéré les effets calorifiques qu’au point de vue des variations du thermomètre, on est resté en dehors des phénomènes mêmes, on n’en a pas connu l’essence. La température n’est qu’une des particularités de la chaleur. J’ai un kilogramme d’eau à 100 degrés ; il absorbe, s’il se vaporise librement à l’air, l’énorme quantité de 536 calories, et le kilogramme de vapeur qui en résulte est encore à 100 degrés[1]. Entre les mouvemens qui ont lieu dans l’intérieur des corps et les variations qu’ils produisent sur une échelle thermométrique, il n’y a que des rapports indirects et pour ainsi dire accidentels. L’étude de ces rapports n’a jamais pu donner que des connaissances vagues et confuses : les véritables progrès ont commencé le jour où l’on a rapporté les phénomènes calorifiques, non plus seulement aux degrés du thermomètre, mais à une unité intrinsèque, à la calorie, c’est-à-dire à la quantité totale de chaleur qui est nécessaire pour produire un certain effet net et facile à apprécier.

Jusqu’ici, le galvanomètre a servi presque seul à la mesure des phénomènes électriques. Or, nous pouvons le noter en passant, le galvanomètre est un instrument beaucoup plus imparfait encore que le thermomètre. — Le thermomètre du moins accuse directement, par des dilatations linéaires, cette partie du mouvement calorifique qu’il est appelé à constater. Le galvanomètre, qui n’accuse aussi qu’une portion des effets électriques, a de plus le désavantage de ne les manifester que par la déviation angulaire d’une aiguille : il faut donc comparer des angles, c’est-à-dire apprécier des sinus, des tangentes ; déjà placé en dehors des faits, l’observateur les trouve encore masqués par des fonctions trigonométriques.

Il y a donc urgence à rentrer au cœur même des phénomènes ; il faut, dans toutes les études qui se poursuivent, prendre pour notion

  1. On fait quelquefois dans les cabinets de physique une expérience fort élégante qui montre que des corps différens, tout en étant à la même température, contiennent des quantités très diverses de chaleur. On suspend à l’aide d’un support quelconque un gâteau de cire d’abeille épais de 42 millimètres environ. On prend ensuite un vase d’huile bouillante, et on y plonge des billes de métaux différens et de volume égal, des billes de fer, de cuivre, d’étain, de plomb et de bismuth par exemple. Ces billes ayant pris toutes la même température, celle du liquide bouillant, on les tire de l’huile et on les place à la fois sur le gâteau. Elles s’enfoncent dans la cire, mais avec des vitesses très différentes. Le fer et le cuivre entrent vigoureusement dans la masse fusible, l’étain plus mollement ; le plomb et le bismuth demeurent en arrière. La bille de fer traverse la cire de part en part et tombe la première ; celle de cuivre la suit ; les autres restent en chemin, incapables de percer le gâteau, et s’y arrêtent à des profondeurs différentes dans l’ordre de leur capacité calorifique.