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tel est par exemple celui de la chaleur que produit le frottement de deux corps solides ; mais il en est d’autres qui s’expliquent plus simplement dans la première (celle de la matérialité) ; peut-être ont-elles lieu toutes les deux à la fois. » En réalité, ils abandonnèrent l’idée du mouvement sans en avoir tiré aucun parti, et revinrent à la théorie de la matérialité. Laplace surtout, après la période de son association avec Lavoisier, redevint un défenseur convaincu de cette dernière théorie, qui se trouva ainsi raffermie par une imposante autorité. Un peu plus tard, dans les premières années de ce siècle, Rumford, esprit original, presque paradoxal, se prononça résolument contre la matérialité du calorique. « Si la chaleur, disait-il, est une matière logée dans les pores des diverses substances, on pourra l’en faire sortir, comme on exprime l’eau d’une éponge, et un même corps ne pourra en émettre indéfiniment. » Ayant ainsi ramené la question à une expérience décisive, il faisait tourner une barre de fonte sur une autre barre semblable au milieu d’un liquide, et il montrait qu’il y avait dégagement de chaleur aussi longtemps que la barre tournait. Les expériences de Rumford n’eurent point le retentissement qu’elles méritaient. Thomas Young paraît seul en avoir compris la portée ; dans un traité de physique publié en 1807, il exposa les travaux de Rumford et les rapprocha de ses propres découvertes sur la lumière ; mais les anciennes idées sur le calorique continuèrent à régner dans les esprits. Vinrent les machines à vapeur, et toutes les questions relatives à la chaleur se trouvèrent remises à l’ordre du jour. À ce moment, la matérialité du calorique était si peu contestée que Sadi Carnot la prit pour base de ses célèbres Réflexions sur la puissance motrice du feu (1824). On sait comment, tout en partant de ce principe erroné, Sadi Carnot et son célèbre commentateur Clapeyron renouvelèrent la thermodynamique. Ils avaient appelé l’attention sur les causes qui font qu’une machine brûlant du charbon dans son foyer produit du travail sur son arbre. Ils eurent cette bonne fortune, que leurs raisonnemens, leurs formules même, purent être dégagés de l’erreur fondamentale qui les entachait et servir à fonder la théorie nouvelle de la chaleur. En 1839, M. Seguin publiait une Étude sur l’influence des chemins de fer : la chaleur y était considérée comme un mouvement, et l’auteur donnait des indications très justes sur la transformation de ce mouvement en travail ; mais ce sujet n’était qu’effleuré dans le livre de M. Seguin, qui avait spécialement en vue des questions d’économie sociale. C’est entre les années 1840 et 1850 que se sont produits les mémorables travaux de MM. Mayer et Joule. L’un en Allemagne, l’autre en Angleterre, partis de considérations très diverses et placés à des points de vue tout différens,