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et dans ses ports sans être saisi d’admiration. Dès aujourd’hui, oserions-nous nous flatter de lui être supérieurs, soit en navires, suit en canons ? L’Amérique et la France ont-elles quelque chose de plus fort que l’Achille ou le Minotaur, frégates cuirassées d’imitation française ? Déjà même, faut-il l’en croire ? elle se vante par les organes de la presse d’avoir enfin trouvé un canon et des boulets en fonte Palliser (brusquement refroidie), qui percent et détruisent les cuirasses comme nos projectiles creux pénétraient et bouleversaient naguère les vieilles murailles en bois.

Et la France, qui a imprimé à toutes les marines du monde l’essor qu’elles suivent aujourd’hui, qui a inventé le navire cuirassé et le canon rayé, nous nous plaisons à croire qu’elle n’est au-dessous d’aucune nation pour le matériel naval de guerre ; mais la discussion publique ne nous fournit pas assez de renseignemens pour fixer le point précis où elle est arrivée en ce moment. Malheureusement la France n’a pas, comme les États-Unis, comme l’Angleterre, des trésors et des hommes à prodiguer sans compter à son établissement naval. L’art doit suppléer à ce qui nous manque, et ce n’est pas sans danger que nous pouvons commettre des erreurs. Toute faute qui porterait atteinte aux ressources de notre population maritime déjà si restreinte, ou au nerf de notre corps d’officiers, réveillerait peut-être dans un jour néfaste, comme aujourd’hui en Italie, l’indignation du pays contre une administration qui par ineptie ou par insouciance s’en serait rendue coupable. Qu’on le sache bien ! la mer a ses exigences et son génie propre ; on n’improvise pas des matelots avec des soldats ni des capitaines de vaisseau avec des colonels de régiment… Le sujet nous entraine, arrêtons-nous : aussi bien nous sommes-nous proposé seulement de signaler les enseignemens qui ressortent pour tous de la bataille de Lissa.

Un dernier point nous reste à toucher, nous ne ferons que l’effleurer : il soulève de telles conséquences que tous les gouvernement du jour en pâlissent. Nous avons retracé tout à l’heure la lutte engagée depuis cinq ou six ans entre l’artillerie et la construction navale, faisant litière des budgets, ainsi que deux armées sur un champ de bataille jonchent le sol des plus riches moissons. D’un simple épisode de l’attaque de Lissa surgit une bien autre question. Les hommes de guerre se sont étonnés que l’escadre cuirassée de l’Italie n’ait pas bouleversé de fond en comble le fort de la Madona ; elle était armée cependant de ces terribles engins d’artillerie contre lesquels il n’est massif en pierre qui tienne. Qu’est-ce que le projectile pénétrant et explosible, sinon une mine qui s’attache au flanc des forteresses, pénètre dans leur sein et les fait voler en