Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/326

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la carène. Résultat imprévu et terrible ! ainsi le flanc cuirassé, dans sa résistance finale à la force de pénétration, au lieu de faire rebondir le Max ébranlé lui-même jusqu’aux entrailles, coque et machine, n’a su que s’incliner mollement devant le choc, livrant ses parties vitales et fragiles à ce coup déchirant qui portait la mort. Le Max, en reculant, a retiré sans effort son avant de la déchirure qu’il avait faite, sans courir le risque de sombrer avec son ennemi, comme deux cerfs aux ramures entrelacées. Enfin l’exemple du Palestro nous confirme combien sont réels les dangers de l’embrasement sur les navires seulement en partie cuirassés, dangers que tous les hommes de mer avaient signalés d’avance, et sur lesquels on ne saurait trop insister.

Aux lueurs fauves et sinistres de ce combat de Lissa, bien que l’inhabileté d’une part, de l’autre la faiblesse de l’artillerie ne nous permettent d’en tirer que des enseignemens encore fort incomplets, nous voyons poindre cependant les principes qui présideront aux prochaines batailles navales, par suite certaines règles pour la construction et l’armement des flottes ; nous pouvons aussi juger un peu plus nettement de la force relative actuelle des principales puissances maritimes. Dès que la vapeur se fut substituée à l’impulsion du vent dans la manœuvre des vaisseaux, mais surtout dès que les cuirasses eurent rendu l’avant des navires presque invulnérable aux bordées d’enfilade, il fut évident pour les esprits attentifs que la tactique des galères de guerre de l’antiquité allait redevenir la règle des batailles navales modernes. Cette tactique, en quoi consistait-elle ? A enfoncer les flancs du navire ennemi, à briser son gouvernail, à raser ses avirons d’un coup d’éperon fortement lancé et habilement dirigé, à tuer les défenseurs par l’arc et la fronde ou tout autre engin plus ou moins destructeur, à enfoncer les ponts, à rompre mâture, gréement et tout ce qui se trouvait à bord avec des masses de silex projetées par des espèces de grues ou à l’incendier avec des matières inflammables, enfin à enlever l’ennemi à l’abordage. Que nous a donné aujourd’hui la force des choses ? Le coup de bélier avec ou sans éperon pour crever le flanc de l’ennemi et le couler bas ou pour avarier son gouvernail et même son hélice ; une puissante artillerie pour démanteler à distance les cuirasses, briser les canons, tuer les canonniers à leurs pièces et mettre le feu à bord ; la mousqueterie, l’abordage, les torpilles soit fixes, soit mobiles, qui, faisant éclater une mine sous la carène, peuvent l’entr’ouvrir et l’engloutir. Laissons de côté la mousqueterie comme n’étant qu’un auxiliaire, l’abordage comme à peu près impossible avec la puissance des machines, si l’un des combattans veut s’y soustraire, et aussi les engins sous-marins, parce que les