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On ne peut dire que l’attaque de Lissa fut en soi une faute. Si l’amiral Persano s’était rendu compte de sa position, il aurait vu tout d’abord que le sort de Lissa était attaché à l’escadre autrichienne ; celle-ci battue, détruite ou dispersée, Lissa restait à sa discrétion. C’était donc sur le combat naval poussé jusqu’à la destruction qu’il devait concentrer ses préoccupations ; le bombardement des forts, par un tir bien ménagé, ne devait être pour lui qu’un moyen de faire sortir l’amiral Tegethof et en même temps une belle occasion de façonner au feu ses équipages par un exercice préparatoire effectif et presque sans danger. Que ne gardait-il sous sa main, toute prête à fondre sur l’ennemi, son escadre cuirassée, surtout ses deux bâtimens à éperon, les meilleurs engins de choc qu’il eût pour assaillir les Autrichiens ! Au lieu de cela, il engage la Formidabile contre un fort intérieur d’où elle sort désemparée, hors de combat ; il envoie la Terribile à cinq lieues de son centre d’action se livrer à une canonnade impuissante, de sorte que, l’ennemi survenant, il n’a plus à lui opposer que neuf cuirassés, et l’on se prend ici à regretter qu’il ne soit pas allé arracher au vice-amiral Albini le commandement de ses belles frégates pour les lancer sur les deux dernières divisions de l’Autriche. Sans doute, s’il eût pu enlever Lissa d’un coup de main, il y aurait trouvé un point d’appui pour sa flotte ; mais dès la première attaque il fut patent que l’ennemi était résolu et préparé à la résistance, et la dépêche télégraphique qu’il surprit lui donnait l’assurance que l’escadre autrichienne accourait. Là était l’immense danger, là le nœud de son expédition. Et il ne donne aucun ordre, ne fait aucune disposition, n’imprègne pas ses capitaines de ce que chacun d’eux doit faire au premier signal de l’apparition de l’ennemi, comme s’il n’y avait pas songé un seul instant ! Eh bien ! malgré toutes ces fautes, quand vers huit heures et quart l’escadre autrichienne fut signalée, il était tellement fort avec ses neuf bâtimens cuirassés, que si, formant cette masse de fer en peloton serré, il se fût porté sur l’ennemi à toute vapeur et l’eût abordé front à front sans tirer un coup de canon, luttant de puissance de choc d’abord, ne lâchant ses bordées qu’à mesure qu’il l’aurait vu défiler par son travers, presque à bout portant ou à petite distance, il aurait, par la supériorité de sa masse, de sa vitesse, du calibre de son artillerie, ébranlé la division des cuirassés autrichiens, puis, rechargeant ses canons à obus et pénétrant du même élan dans les divisions en bois, il y aurait exercé d’affreux ravages, tandis qu’à l’ennemi qui se précipite sur lui en coin avec une vitesse de dix nœuds, il ne sait opposer que le flanc d’une ligne de file mal formée ; il méritait d’être écrasé du coup.

Cependant en ce moment suprême la fortune lui offre encore un