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l’organise en donnant aux moyens d’action, hommes et choses, toute leur puissance effective. Souhaitons-leur d’avoir la main assez heureuse pour ne confier les commandemens en chef qu’à ces hommes que l’éclair du canon, loin de rendre stupides, illumine d’un éclat soudain, leur révélant toutes les ressources du champ de bataille. Inventez cuirasses infrangibles, canons rayés monstrueux, boulets de rupture, projectiles perforans et explosibles, roches à feu incendiaires, torpilles flottantes ou suspendues, fusils à tir accéléré, et tous ces engins de destruction à la découverte desquels notre esprit court en ce moment, le fait n’en reste pas moins que, seuls, le génie de la guerre, le courage supérieur et l’énergie des peuples savent enchaîner la victoire. Ces précieuses qualités, comment les développer et les entretenir dans les nations ? Est-ce par la liberté, comme le veulent certains politiques, ou en les abrutissant, comme d’autres cherchent à se le persuader ? En un mot, lequel est le plus sûr, de mener des hommes ou des brutes ? Qu’on prenne les voix ; tous les hommes de guerre ont répondu : Donnez-nous des hommes à conduire. Certes nous ne nous flatterons pas que, dans l’état d’hébétement où semblent tomber les races latines, les pasteurs des peuples puissent les traiter autrement que comme des troupeaux ; mais, lorsqu’il s’agit de ces grands actes où l’orgueil populaire se passionne, ils devraient, dans l’intérêt sinon de leur gloire, au moins de leur quiétude, faire taire tout caprice en eux et autour d’eux. Quand un Dalmate drapé dans sa guenille viendra, au nom du combat de Lissa, dire à un Génois parlant pompeusement de la marine italienne : « Avec mes vieux canons et mes vieux navires, je vaux mieux que toi armé des engins de guerre des grandes races du nord, » n’est-ce pas au gouvernement de l’Italie et à son roi que l’insulte remonte à travers le cœur ulcéré du peuple ? Les colères aujourd’hui ameutées contre l’amiral Persano ne le montrent que trop.

Quoi ! le ministre Depretis et l’amiral Persano, avertis de l’imminence de la guerre, n’ont pas exercé les équipages à outrance aux manœuvres du navire et du canon ! Et parmi tous ces capitaines il ne s’en est pas trouvé un seul qui, donnant à tous l’exemple, préparât ses matelots aux exigences des prochains combats ! Les faits portent en eux-mêmes un acte d’accusation. Les sept cuirassés (Re-d’Italia et Palestro exclus) engagés dans la bataille ont tiré 1,452 coups de canon souvent à bout portant, et l’escadre autrichienne a été à peine touchée. Serait-il donc vrai, comme le disent les Autrichiens, que les canonniers italiens tiraient à poudre et à mitraille contre les cuirasses de l’ennemi, justifiant ainsi l’opinion répandue dans le nord qu’ils manquent du sang-froid nécessaire dans les batailles navales ?