Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/320

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un feu intérieur. Son capitaine, qui avait fait noyer la soute aux poudres, se croyant assez fort de ses propres ressources pour éteindre l’incendie, refusa les secours que les autres bâtimens s’empressèrent de lui offrir. Vers deux heures et demie, escorté de l’aviso le Gobernolo, il venait de passer près de l’amiral en faisant retentir le cri de viva la Italia ! lorsqu’un jet de flammes s’élança de ses flancs, une forte explosion se fît entendre, projetant en l’air, aux yeux des deux flottes émues de sentimens bien divers, une gerbe de débris embrasés. Le feu avait gagné un petit approvisionnement de munitions préparé pour le combat ; le navire périt de ce seul coup : il s’entr’ouvrit et sombra.

Cependant les deux armées se reformaient, les Autrichiens rapidement et sans hésitation ; on sentait que l’âme du chef, calme et sûre d’elle-même, inspirait tout ; nul doute dans l’interprétation et l’exécution des signaux, qui, même au milieu du feu, avaient été obéis sur-le-champ. Dès avant deux heures, ils étaient rangés entre Lissa et Lésina sur trois colonnes, menaçans et tout prêts à un retour offensif. Les Italiens, incertains, dans une sorte de confusion, cherchant à se reconnaître, finirent pourtant vers trois heures par se former en ordre de bataille sur deux lignes, les cuirassés à gauche, le cap au sud-ouest, courant vers Lissa : les deux flottes dans une position exactement inverse de celle où s’était engagé le combat. L’amiral Persano, qui n’avait pas vu le terrible exploit du Max, demanda par signal où se trouvait le Re-d’Italia. — Coulé bas ! lui fut-il répondu par les témoins de la catastrophe, et l’armée entière, qui lut dans les airs ce mot funèbre, en ressentit de la stupeur. Un incident touchant vint marquer la place de cette sinistre épitaphe : le Principe-Umberto, en se rendant à son poste, passa sur le lieu même où s’était abîmé le Re-d’Italia et fit signal de « découverte de naufragés. » Ne recevant aucune réponse, il se mit à en opérer le sauvetage. Ces restes misérables d’un équipage sacrifié avaient d’abord pendant deux heures lutté avec leurs seules forces pour se soutenir sur l’eau, menacés et frappés à la fois par les boulets amis et ennemis qui se croisaient sur leurs têtes ou tombaient au milieu d’eux. Alors qu’acteurs et témoins de ce drame ne songeaient qu’à s’entre-tuer, nul n’avait pu les recueillir. Plusieurs de ces malheureux, à bout de forces, s’étaient déjà laissé engloutir, lorsqu’un secours inopiné arriva pour ceux qui tenaient encore : l’abîme vomit à sa surface quelques débris du navire engouffré ; ils s’y accrochèrent et purent ainsi flotter jusqu’au moment où le Principe-Umberto les découvrit par hasard et les sauva après huit heures d’immersion.

L’instant était solennel pour l’amiral Persano et pour l’Italie.