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de la mêlée, il songea à se porter sur la queue des divisions en bois de l’ennemi ; l’apparition momentanée de deux cuirassés autrichiens que serrait de près la Maria-Pia le fit réfléchir. Les signaux du commandant en chef l’appelaient au feu, mais il se dit que le rôle des bâtimens cuirassés était précisément de couvrir et de protéger les navires en bois, qu’en se jetant au centre même de l’action ou même en s’en rapprochant, il ne ferait qu’augmenter les difficultés et les embarras de l’escadre ferrée, et il se maintint à l’écart avec ses quatre cents canons. À ce singulier raisonnement, le sang se fige, surtout quand on voit ce vieil et noble Kaiser, s’adaptant aux manœuvres nouvelles, menacer de couler bas le plus puissant des cuirassés italiens. Quant à la Terribile, on la trouve pendant toute l’action, non pas au feu comme la Varese, mais dans la calme région des frégates du vice-amiral Albini.

Vers midi, les deux divisions en bois autrichiennes achevaient de traverser la ligne ennemie ; l’Ancona, se détachant de l’avant-garde, courait se joindre au Re-di-Portogallo pour les canonner en retraite : un abordage malheureux avec la Varese fit manquer ce mouvement. Le Palestro, en flammes mal étouffées, gouvernait à l’ouest pour se retirer du champ de bataille ; il y eut alors parmi les cuirassés italiens qui allaient lui offrir des secours un mouvement qui fit croire à l’amiral Tegethof que l’ennemi se reformait pour renouveler le combat ; il signala à son escadre l’ordre de se former sur trois colonnes, le cap au nord-est, la division des frégates cuirassées à gauche pour couvrir celles en bois, car la situation des deux armées était intervertie : les Autrichiens se trouvaient maintenant entre Lissa et la flotte italienne. . Nous ne mentionnerons pas divers ordres qu’on trouve ici dans le registre des signaux de l’état-major italien, tels que ceux-ci : « doublez l’arrière-garde ennemie, — donnez la chasse avec liberté de manœuvres en se portant à la tête de la première ligne ennemie, » ordres à peine vus, incompris et dans tous les cas inexécutés ; on chercherait en vain une âme donnant l’impulsion à cette armée. Il est inutile aussi de parler des derniers coups de canon, échangés à longue distance et tombés dans l’eau, entre quelques navires italiens et ceux des Autrichiens qui n’avaient pas encore atteint leurs postes. Tout ce qu’on pourrait noter, c’est que deux bâtimens italiens seulement semblent avoir compris et exécuté les ordres : le Re-di-Portogallo et le Principe-Umberto, frégate en bois nouvellement arrivée d’une longue station dans le Pacifique.

A midi et demi, le combat était complètement terminé.

Une dernière et sinistre scène était réservée à cette malheureuse escadre italienne. Le Palestro s’était écarté de la mêlée tout fumant