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une sorte d’intuition des combats ; sans ordre de son chef, il fit faire à- sa division un à-gauche en file, et menaça ainsi les divisions non cuirassées de l’Autriche. L’amiral Tegethof, qui vit le danger, fit virer de bord ses cuirassés, les ramena en toute hâte au centre de la ligne ennemie et fondit dessus. Les deux derniers groupes de l’escadre italienne ne firent aucun mouvement, se livrant pour ainsi dire d’eux-mêmes au choc. Tout l’effort tomba sur le groupe central, Re-d’Italia, Palestro, San-Martino. Le Re-d’Italia eut quatre cuirassés sur les bras, le Palestro (canonnière de il bouches à feu) deux, plus une frégate en bois, et le San-Martino se trouva un instant entre deux feux. Ce ne fut plus qu’une mêlée confuse où, au milieu de mille détonations du canon et d’un épais nuage, on ne se voyait ni ne s’entendait plus, les Autrichiens tirant par bordées de feux convergens, les Italiens par coups successifs, tous également impuissans, les premiers par la faiblesse de leur armement surtout, les autres par inhabileté. On courait, on s’entrecroisait sans se reconnaître malgré les grandes enseignes arborées à tous les mâts. Une seule marque distinctive dirigeait encore les coups des Autrichiens : l’amiral Persano avait eu la singulière idée de faire peindre en gris bleuâtre la coque de ses bâtimens. L’amiral Tegethof, lancé à toute vitesse, rôdait comme un taureau furieux sur le champ de bataille, cherchant où frapper ; dès qu’il apercevait une muraille grise, il se ruait dessus pour l’enfoncer. Il en heurta deux (on dit même trois) sans les connaître ; mais, ne les ayant pas frappés normalement, il ne fit que les écorcher. Cependant l’admirable mouvement par lequel il avait ramené compactes ses cuirassés sur l’ennemi eut enfin son effet. Tout à coup, dans une éclaircie de fumée au ras de l’eau, il découvre droit sur son avant une masse grise et immobile : c’était le Re-d’Italia qu’un bâtiment autrichien venait de couvrir par l’arrière d’une bordée tout entière. Son gouvernail avait-il été brisé du coup et sa machine avariée, comme le racontent les Italiens, de telle sorte qu’il ne pouvait plus se diriger ? ou bien, comme le veulent les Autrichiens, le commandant, incertain de sa manœuvre en présence d’un autre navire qui lui barrait le chemin de l’avant et n’ayant pas la présence d’esprit de l’enfoncer ou de prendre la même route que le Max, n’avait-il pas su marcher en arrière à temps ? Toujours est-il qu’à l’aspect de cette muraille inerte l’amiral Tegethof, du haut de sa dunette, qu’il ne quitta pas un instant pendant tout le combat, intimant au mécanicien l’ordre de donner toute sa vapeur et de se tenir prêt à faire brusquement machine en arrière[1], s’élança avec sa masse de

  1. L’amiral Tegethof fait honneur de cette manœuvre à son capitaine de pavillon, M. de Sternek.