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hommes, et bientôt d’ailleurs une rafale du sud-ouest accompagnée de pluie en déroba la vue. La mer, d’abord fort houleuse, se calma à mesure qu’on approchait de terre, puis tomba tout à fait dans une saute de vent au nord-ouest. Vers neuf heures et demie, le ciel, qui s’éclaircit, laissa voir à tous les yeux la flotte italienne en dehors de Lissa, formant deux groupes d’abord un peu en désordre ; mais bientôt la puissante escadre des cuirassés de l’ennemi se détacha en ligne droite, le cap au nord-nord-est, coupant sa route. On approchait si vite que l’amiral n’eut que le temps de signaler aux pelotons de se tenir à distance de deux encablures (près d’un kilomètre), aux bâtimens de se serrer, à tous de se lancer à toute vapeur, et de donner à sa division cuirassée cet ordre qui révélait toute son âme, qui fit son succès et restera comme le mot de guerre des bâtimens cuirassés : « courez sur l’ennemi et coulez-le. »

Ainsi d’une part l’escadre italienne de neuf cuirassés (car la Varese, quoiqu’à toute vapeur, n’avait pas encore rallié, et la Terribile restait à la traîne), en ordre mince, sur un seul bâtiment d’épaisseur, allongée en ligne de 5 kilomètres et présentant le flanc à l’ennemi, de l’autre l’escadre autrichienne en masse compacté, serrée sur une largeur de 1,200 mètres, fondant sur l’ennemi à toute vitesse avec l’avantage du vent et de la mer pour y faire trouée, telle s’ouvrit la bataille. Les cloches de tous les navires venaient de piquer dix heures.

Était-ce bien sous cette forme que l’amiral Persano l’avait rêvée ? Contre ce coin de fer qui se précipitait pour le briser, il donna l’ordre, sans doute par une vague réminiscence des temps classiques des d’Orvillers et des d’Estaing, d’ouvrir, dès qu’on serait à portée, « des bordées d’enfilade. » Le contre-amiral Vacca, avec sa division de tète, commença le feu (à 200 mètres, dit-on), feu impuissant (peut-être un reste de la houle du matin troubla-t-il les canonniers) dont tous les boulets, mal pointés, ou se perdirent dans la mer ou sifflèrent à travers les mâts. Les Autrichiens eurent le tort d’y répondre en inclinant un peu leur route, sans produire plus d’effet à cause de la faiblesse de leurs canons, puis, reprenant leur course furieuse au milieu de la fumée, ils coupèrent la ligne ennemie entre le troisième et le quatrième cuirassé à partir de la tête. Telle est cependant la vanité des combinaisons humaines ! ce premier élan de l’amiral Tegethof, qui semblait devoir être écrasant, tomba dans le vide ; les bâtimens autrichiens, aveuglés par leur propre fumée, manquèrent le choc et passèrent dans les intervalles des bâtimens italiens sans en heurter un seul, et qu’ils eussent payé cher ce mouvement avorté, si le souffle des batailles eût embrasé l’ennemi I Le contre-amiral Vacca eut cependant là