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démesurée, qui plongeait dans l’eau outre mesure, qui obéissait mal à sa barre et évoluait difficilement. Le député Boggio, fatalement inspiré, préféra se tenir sur le Re-d’Italia.

D’après les dispositions générales arrêtées d’avance, l’amiral Persano s’était figuré que l’escadre en bois, après avoir repris à bord les troupes, laissant aux canonnières le soin de recueillir le matériel de débarquement, viendrait, en exécution du signal de bataille, se former en seconde ligne à sa droite ; mais le vice-amiral Albini avait d’autres idées : dans son opinion, « les bâtimens en bois ne devaient pas se frotter aux cuirassés. » Aussi resta-t-il prudemment avec ses huit frégates, occupé tout entier au sauvetage du petit matériel de descente, qu’il n’opéra pas cependant sans laisser quelques dépouilles à l’ennemi, entre autres un superbe chaland en fer qui figure aujourd’hui comme un trophée dans le port de Pola. Quant à la Formidabile, elle demanda par signal à faire route pour Ancône, et, sur le simple aperçu du commandant en chef, partit sans attendre de nouveaux ordres.

Mais comment l’escadre autrichienne se trouvait-elle donc là si à propos ? Nous l’avons dit : l’amiral Tegethof, qui sentait l’infériorité de ses forces, s’était établi dans la rade de Fasana, afin d’être prêt à troubler toute opération de guerre sérieuse que la flotte italienne, de concert avec l’armée, aurait pu tenter dans le nord de l’Adriatique, vers Venise ou Trieste. Au premier avis qu’il reçut des coups de canon de Lissa, il pensa d’abord qu’il ne s’agissait que d’une diversion pour l’arracher à sa base d’opérations. Les dépêches répétées qui lui arrivèrent le convainquirent bientôt que l’amiral Persano voulait réellement s’emparer de Lissa ; alors, dût-il y perdre quelques navires (car en face des engins de guerre si puissans de l’Italie il ne se croyait guère que voué à périr honorablement), il résolut d’aller secourir Lissa et d’en disputer chèrement à l’ennemi la possession. Le 19 juillet, un peu après midi, il appareilla et rangea son escadre en ordre de file par pelotons de division, les sept cuirassés formant le premier peloton avec le Max (frégate amirale) en tête, les gros bâtimens en bois menés par le vaisseau le Kaiser formant le second peloton, la flottille des petits navires formant le troisième peloton, — chaque peloton disposé en arc ou chevron brisé de manière à faire coin sur l’ennemi, et chaque division ayant son répétiteur de signaux dans l’intervalle des pelotons. Son ordre de marche devait être aussi son ordre de bataille ; il signala la route au sud-est, droit sur Lissa. Le 20 juillet, à six heures quarante minutes du matin, pendant le déjeuner des équipages, ses vigies lui annoncèrent l’ennemi en vue à l’avant. Il garda la nouvelle secrète pour ne pas troubler le repas de ses