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Rhin l’esprit de la civilisation moderne, l’opinion des peuples n’a pas joué un assez grand rôle, n’exerce pas une assez grande influence, et, n’en déplaise à M. de La Valette, nous persistons à penser que, si la révolution, ce qui veut dire sous sa plume l’esprit de liberté, avait marqué davantage à son empreinte tout ce qui vient de s’opérer, le monde accueillerait avec plus de confiance les progrès qu’on nous annonce, et la rénovation européenne s’accomplirait sous de meilleurs auspices. Le principe de l’autorité, quand il repousse l’initiative et le contrôle de l’opinion et de ses organes constitutionnels, tend à devenir de l’absolutisme sous les couleurs modernes tout comme sous celles de l’ancien régime, et les nations n’ont rien à gagner au rajeunissement du despotisme.

C’est dans cet esprit que nous cherchons les leçons qui ressortent pour tous des dernières expériences. Nous souhaitons que le gouvernement français en tire une conclusion favorable à l’affranchissement complet des organes de l’opinion publique ; mais c’est à celle-ci surtout de s’éveiller d’un trop long sommeil et de ressaisir l’initiative qui lui appartient. L’esprit libéral a deux écueils à éviter. Il court risque de se diviser en deux partis qui s’entendent moins chaque jour. Parmi nous, les uns, trop découragés par nos revers, semblent prêts à se contenter de peu, à saisir avec empressement tout ce qui flatte quelqu’une de leurs idées, quelqu’un de leurs ressentimens, sans s’inquiéter du prix dont ils paient une satisfaction passagère, et justifient ainsi les calculs de ceux qui se font un art de prendre la démocratie pour dupe et même pour instrument. Les autres, que les revers ont plutôt irrités qu’abattus, mettent leur orgueil à tout dédaigner, à tout méconnaître de ce qui arrive même de partiellement favorable aux vœux et aux intérêts populaires, et craindraient de s’abaisser en étant justes pour les événemens. Le mal de ces dispositions contradictoires, c’est qu’elles conduiraient également les unes comme les autres à l’inaction. Le libéralisme complaisant comme le libéralisme dédaigneux ne feront ni l’un ni l’autre les affaires de la liberté, et il n’y a pas plus à attendre du mépris que de la faiblesse. Que tout ce qui vient de se passer nous apprenne au moins à nous montrer là plus exigeans, ici plus flexibles, à ne pas tout accepter du hasard, comme à ne pas repousser toutes les chances. Il ne faut ni s’incliner devant la fortune, ni lui tourner le dos : il faut marcher à elle et s’en rendre maître.

Nous ne savons si le gouvernement prussien comprend bien à quel point il serait de son intérêt de consolider sa puissance en la faisant servir à la liberté des peuples ; mais ce dont nous ne doutons pas, c’est que les peuples doivent le lui apprendre et prouver au monde qu’ils n’ont pas besoin que Montesquieu leur rappelle que