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l’Italie les politiques de café annonçaient-ils avec enivrement que la jeune marine du nouveau royaume allait inaugurer son apparition dans le monde par des succès éclatans, et dans les provinces autrichiennes on tenait à peu près le même langage. Ne disait-on pas à Venise que l’amiral Persano, comme Tromp autrefois dans la Manche, promenait son escadre dans l’Adriatique avec un balai en tête de ses mâts ? Dans leur ignorance des causes qui décident des batailles, ils comptaient sans les hommes. La différence entre les états-majors et les équipages des deux flottes, ou plutôt, tranchons le mot, car le chef est responsable et doit savoir se faire obéir, la différence de trempe d’âme entre les deux chefs, entre l’amiral italien Persano et l’amiral autrichien Tegethof, suffit seule pour renverser toutes ces prévisions : le premier avait acquis sa réputation à la prise d’Ancône sur les troupes du pape et devait sa notoriété à ce fait, que le général Lamoricière après Castelfidardo l’avait choisi pour lui remettre son épée ; le second, formé à la guerre contre les rudes Danois, y avait recueilli, non point de l’illustration, mais de sévères leçons. Certes l’amiral Tegethof ne se faisait pas illusion sur l’infériorité de sa flotte ; la plupart de ses bâtimens n’étaient guère que rigoureusement en état de tenir la mer, comme on en peut juger par le Don-Juan, dont on avait couvert en bois l’avant, faute de temps pour lui adapter son armure en fer, et par la Novara, qui, à peine échappée à un incendie criminel, rallia l’escadre réparée comme on put. Ses équipages, nouvellement recrutés sur la côte de la Dalmatie, n’étaient ni disciplinés ni façonnés à la guerre, quelques-uns même n’ont été embarqués que trois semaines avant le combat ; mais il avait mesuré et jugé son rival, et parfois un rayon d’espoir lui traversait l’âme. « Tels quels, donnez-moi toujours vos navires, disait-il à son gouvernement, j’en saurai faire emploi. » Il passa les jours et les nuits à exercer ses matelots et ses officiers à la manœuvre des navires et au tir du canon ; dans de continuelles conférences avec ses capitaines, il les pénétra de ses plans de bataille ; il leur enseigna à couvrir les flancs des bâtimens en bois (à l’imitation des Américains) avec leurs câbles-chaînes renforcés de barres de fer : pauvre précaution sans doute, puisqu’à la distance où il se proposait de combattre tous les projectiles devaient enfoncer chaînes et murailles, mais rassurante pour les esprits grossiers qui croyaient y trouver une protection ; il les forma au tir convergent, petit artifice d’escadre au moyen duquel les canons pointés d’avance font feu par bordée sur l’ennemi au signal du commandant, mesure sage, mais que la faiblesse de son artillerie devait rendre presque dérisoire, comme l’expérience l’a prouvé ; puis, et ce fut son idée féconde, il s’efforça de les convaincre que le combat