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choses humaines que le mal accompagne souvent le bien. Il y aurait faiblesse à feindre de l’ignorer parce qu’on ne l’a pas prévu, comme à s’en plaindre à grands cris quand on n’a rien fait pour l’empêcher. La France a renoncé depuis un temps à prévoir et à vouloir pour elle-même ; qu’a-t-elle à dire si d’autres plus confians, plus audacieux, marchent hardiment dans leurs voies sans la consulter ni l’attendre ?


IV

Maintenant, de ce qu’un événement ne devait pas être tout à fait imprévu, de ce qu’annoncé par des signes de toute sorte il rentrait dans le grand courant des choses contemporaines et n’était qu’une partie de la révolution européenne, il ne s’ensuivrait point que, soit dans quelques-unes de ses circonstances, soit dans quelques-uns de ses résultats, il ne pût porter préjudice à certains états et particulièrement à la France. Il serait nécessaire qu’il pourrait encore être funeste, et tous les changemens graves commandent des précautions nouvelles. On n’a certes pas dissimulé à la France qu’elle peut avoir à craindre ceux que l’Europe a subis depuis le mois de juin, et les inconvéniens ou les dangers en ont été, du moins à notre avis, plutôt exagérés qu’atténués. Nous ne prenons nul plaisir à noircir un avenir douteux par des suppositions toujours hasardées, et l’expérience nous a appris combien l’inquiétude, comme la sécurité des peuples, est souvent chimérique ; mais enfin l’Europe n’est plus la même, cela est certain, et la France n’a pas changé. Cela mérite attention. La France, quoi qu’elle dise, est la France de la révolution, et la confédération germanique de la restauration devient peu à peu la confédération germanique de la révolution. Au premier abord, il semble que ce soit entre l’Allemagne et la France un lien de plus. C’est tout au moins une analogie. Et c’est là ce qui a séduit une portion du parti libéral et démocratique ; mais en se trempant dans le Styx des révolutions on ne s’affaiblit pas, et à se rajeunir on ne devient ni modéré ni pacifique. De l’arsenal révolutionnaire chacun tire les armes qu’il veut, et si l’Allemagne n’a pas en tout temps approuvé la manière dont la France entend les révolutions, nous pouvons bien lui rendre la pareille et porter d’elle le même jugement. C’est pourquoi, en comprenant, en adoptant jusqu’à un certain point les idées des libéraux qui ont souhaité les derniers changemens, nous ne pouvons pas plus partager leur optimisme que nous n’adhérons au pessimisme absolu de leurs censeurs. Nous croyons qu’au-delà comme en-deçà du