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ne pouvait pas perdre impunément une bataille. Son ambition dépassait ses ressources, tandis que l’Autriche avait tout ce qu’il faut pour prolonger la guerre. A défaut d’impétuosité, elle avait la solidité et la persévérance. Elle savait comment on supporte les revers. Le temps, était pour elle.

Ainsi raisonnaient d’excellens esprits, ainsi raisonnaient les vainqueurs de Solferino, ; ainsi raisonnait apparemment le cabinet français. On lit dans la lettre impériale du 11 juin que la France ne pourrait songer à des compensations territoriales que si la carte de l’Europe était modifiée, au profit exclusif d’une grande puissance. C’était là avancer une supposition hardie, celle d’une guerre dont le résultat serait l’égalité entre le vainqueur et le vaincu. Or cette supposition, toujours difficile à réaliser, l’était moins dans l’hypothèse de la victoire de l’Autriche, qui passait pour borner ses vœux à la conservation de l’ordre existant. Enfin on pouvait encore admettre comme l’éventualité la plus probable celle d’une guerre indécise et longue. Le moment devait alors venir où, dans la lassitude des deux belligérans, l’intervention diplomatique de la France pourrait amener une utile transaction. La victoire de la Prusse au contraire, c’était nécessairement l’état territorial modifié au profit exclusif d’une seule puissance, et alors point de compensation possible pour la France, car évidemment la Prusse ne visait qu’à son propre agrandissement, et ne partagerait en Allemagne sa victoire avec personne. Ainsi le gouvernement français, comme la France, écartait cette hypothèse de ses prévisions. Nous en étions presque tous là, et c’est même ce qui éleva quelque nuage entre le libéralisme français et le libéralisme italien. Nous ne pouvions ni approuver ni concevoir que l’Italie constitutionnelle fit alliance avec un cabinet notoirement hostile aux libertés publiques, et cela pour entreprendre en commun une guerre où les chances étaient contre les deux alliés. Cette témérité semblait le signe d’une ardeur révolutionnairement belliqueuse, et comme un démenti à la sagesse politique dont l’Italie avait jusqu’ici donné tant de preuves. Elle pouvait nous répondre qu’elle comptait sur la victoire de ceux qui ont en effet vaincu, qu’elle l’assurait par une diversion efficace, et depuis que l’événement a prononcé, il est devenu assez difficile de lui prouver qu’elle avait tort de la prévoir, ou qu’elle ne l’avait pas prévue.

Supposé donc que nous voulussions avant tout prévenir un remaniement du territoire germanique, il semble, d’après l’événement, que la prévoyance aurait conseillé de résister aux vues de la plus conquérante des deux puissances allemandes. Elle conseillait plus hautement encore à l’Autriche de payer de la concession de la