Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/255

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La politique prussienne a posé un jalon fort éloigné entre l’Autriche et la Turquie en obtenant pour un prince de Hohenzollern l’hospodorat de Roumanie. Toutes les difficultés relatives à cet hospodorat sont aplanies à Constantinople. Dans la lettre vizirielle d’investiture, la Porte entendait reconnaître le prince comme hospodar de la Roumanie, « partie intégrante de l’empire ottoman. » Le prince ne voulait point de cette rédaction ; à la fin, il y a consenti en proposant une addition que la Porte a acceptée. Le document viziriel, après les mots « partie intégrante de l’empire, » ajoute ceux-ci : « dans les termes du traité de Paris et de la convention de 1858. » On ne voit guère l’importance que peut avoir ce rappel des traités et des conventions européennes, qui fortifient, au lieu de les atténuer, les droits nominaux de la Porte. La dialectique prussienne, qui a d’étonnantes finesses, nous donnera peut-être dans quelques années le mot de l’énigme. Dans tous les cas, voilà une difficulté arrangée. Le prince de Roumanie a reçu du sultan le sabre à poignée de brillans, de par lequel il est hospodar. Le Grand-Turc a daigné ajouter au sabre le don du riche ceinturon qu’il portait lui-même. Cette implantation d’une influence prussienne en Roumanie, bien qu’elle n’ait aucune gravité actuelle, pourrait donner deux sortes d’avertissemens au petit nombre de ceux qui aiment à prévoir les choses de loin. En premier lieu, cela rappelle que, malgré son éloignement de Constantinople, la Prusse même au temps de Frédéric II s’est toujours très activement mêlée aux affaires politiques de Turquie, et qu’elle ne compte point aujourd’hui négliger cette tradition ; en second lieu, cela devrait faire réfléchir les populations danubiennes, qui supportent avec répugnance la prépondérance de l’Autriche. C’est dans l’Autriche que ces populations voient aujourd’hui l’influence allemande, qu’elles repoussent. Quand la puissance autrichienne serait détruite, les races danubiennes n’en auraient point fini avec l’ascendant allemand ; la Prusse, au nom de la grande Allemagne, saurait prendre la place laissée vide par l’Autriche. Si les choses en viennent là, les rives du Bas-Danube seront disputées entre les deux races russe et allemande. Il n’est peut-être point laissé un temps bien long aux races danubiennes pour assurer leur autonomie : elles n’y pourraient parvenir que par une union fédérative dont la puissance autrichienne serait le pivot ; mais une telle combinaison est-elle possible ? et y a-t-il une sagesse et une force humaine qui puissent mettre un ordre quelconque dans le fouillis des antagonismes orientaux ?

Les nouvelles de Crète sont toujours contradictoires ; on assure que les dépêches exactes ne sont point celles qui annoncent les succès des insurgés. Les puissances occidentales, tout en réclamant en faveur, des chrétiens candiotes l’équité indulgente de la Porte, n’ont pas cru devoir encourager les idées et les sentimens qui ont inspiré le soulèvement. L’entreprise insurrectionnelle espère, par ses télégrammes optimistes, faire des recrues parmi les hommes d’aventure d’Europe. On comptait principalement sur ces milliers de volontaires garibaldiens débandés que la paix laisse sans