Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/254

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

capable de lui rendre. Le rédacteur des dépêches qui ont conduit la question d’Orient en 1853 et en 1854, le ministre qui a su, par son adresse et son énergie, soustraire honorablement la France aux engagemens du traité de Zurich ne sera point oublié dans notre histoire. L’unité de sa carrière, son élévation, uniquement due à la prééminence du talent déployé dans l’ordre des services professionnels seront aussi un noble et fortifiant exemple pour les hommes de cœur voués aux fonctions publiques, pour cette grande école de constans et modestes travailleurs sur lesquels la France à travers ses aventures doit toujours compter, et qui sont obligés de dominer comme des stoïciens les mouvemens de la fortune politique.

L’Autriche cherche en ce moment la vertu réparatrice que peut apporter aux désastres d’un empire l’avènement au pouvoir d’un homme de mérite. M. de Beust est décidément le ministre des affaires étrangères de l’empereur François-Joseph. L’adoption politique de M. de Beust par l’empereur n’est point l’annonce que l’Autriche se résigne à la mise hors l’Allemagne que les événemens et la Prusse viennent de prononcer contre elle. Parmi les nombreux mérites de M. de Beust, le plus apparent est la connaissance ancienne et profonde qu’il a de cette chose essentiellement compliquée qui s’appelle l’Allemagne. La nomination de M. de Beust est considérée comme une garantie et vraisemblablement comme une espérance de meilleure fortune pour l’avenir par la population allemande des états héréditaires. Le sentiment de ces populations sera bien plus difficile encore que l’orgueil de la maison d’Autriche à concilier à l’idée d’un divorce irrévocable avec le corps germanique. Si les événemens apportent jamais à l’Autriche quelque chance de rentrer dans le concert germanique, personne à coup sûr n’est plus en état que M. de Beust d’en tirer profit. C’est aussi le péril pour l’Autriche que la présence de M. de Beust dans ses conseils ne perpétue en elle les préoccupations allemandes. Tel est le mauvais sort de cette puissance à quatre races : elle ne peut satisfaire une de ses nationalités sans donner aux autres des prétextes de mécontentement. En mettant M. Goluchowski à la tête de la Galicie, le cabinet de Vienne a fait certainement quelque chose d’agréable aux Polonais ; mais il ne paraît point encore que les affaires de Hongrie se débrouillent, et il est certain, par le froid accueil qui a été fait à l’empereur à Prague, que les Tchèques de Bohême sont gravement désaffectionnés. A ceux qui objectent le danger que court la nomination de M. de Beust d’être considérée comme une provocation par la cour de Berlin, on répond à Vienne que les hommes politiques manquent en Autriche. Voilà donc à quoi aboutit cette association d’une aristocratie frivole et du jésuitisme à concordats si follement tentée par la cour de Vienne ! On a tari la source des talens et des aptitudes politiques, et ce vaste empire en détresse ne sait plus trouver en lui-même les hommes capables de le gouverner. Si la gravité de la maladie est un attrait pour le talent du médecin, jamais homme n’aura eu une plus belle occasion de faire ses preuves que M. de Beust au chevet de l’Autriche.