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femmes dans les manufactures, et, pour se montrer conséquent, il repoussa une seconde résolution qui admettait ce travail sous la condition d’améliorations morales et matérielles. Le congé était aussi formel que possible : on n’y avait oublié qu’une chose, indiquer d’autres moyens de vivre à celles qui en étaient frappées.

Nulle erreur n’a fait plus de ravages parmi les ouvriers que les fausses notions qu’ils se sont formées au sujet du salaire. Ils y attachent on ne saurait dire quoi d’humiliant qui n’est pas de nature à leur inspirer un goût bien vif pour leur condition. Ils ne parlent du salaire que le dédain à la bouche, et ont imaginé un mot, le salariat, comme expression de ce dédain ; ils ne voient dans ce régime qu’un servage déguisé où ils travaillent au profit du maître : leur ambition est d’en sortir promptement et par tous les moyens. Ces récriminations ne résistent pas à l’examen quand on va au fond des choses. Le salaire fût-il, ce qu’il n’est pas, un stigmate, les ouvriers n’en seraient pas seuls marqués. Dans toutes les carrières à rétribution fixe, de quelque façon qu’on la désigne, traitement, appointemens, honoraires, émolumens, il y a salaire, et, à moins d’avoir l’esprit mal fait, on ne saurait s’offenser ni rougir du mot ; c’est l’équivalent d’un service rendu ou à rendre, un contrat libre dont les termes ont été fixés de gré à gré. Pour les sociétés, c’est mieux encore. Ces existences à conditions fixes y forment le contre-poids des existences où l’élément mobile prévaut, elles sont un lest pour maintenir l’équilibre des parties flottantes. Tout le monde ici-bas n’est pas trempé et doué de manière à pouvoir courir la chance des entreprises en y apportant comme enjeu sa personne et ses biens. N’est pas qui veut maître de forges, filateur, tisseur, imprimeur d’étoffes ; il faut pour cela des qualités qui ne sont pas communes, l’esprit des affaires, les connaissances techniques, l’art de manier les hommes, la promptitude du coup d’œil, enfin l’argent ou le crédit qui en procure ; il faut de plus de l’à-propos et du bonheur. Quel concours de circonstances ! et c’est pourtant à cette loterie que les ouvriers vont mettre leurs épargnes, à ce régime d’incertitudes qu’ils sacrifieront la sécurité que le salaire leur offrait ! Parmi les entrepreneurs d’industrie, ils ne veulent voir que ceux qui ont pleinement réussi et peuvent défier les retours de fortune ; ils détournent les yeux des tables mortuaires où s’enregistrent les noms de ceux qui ont succombé sous un poids disproportionné à leurs forces. Quoi d’étonnant dès lors que le salaire, qui prête peu aux illusions, tombe en défaveur, et que la vogue passe à la participation aux profits, qui ouvre la porte à bien des rêves ?

À ces quelques points se réduit l’intérêt des discussions soulevées au nom des ouvriers par leurs organes accrédités. Maintenant d’où