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excessif, même dans ces jours de largesse, et ne dura point. Aujourd’hui dix heures de travail seraient encore, au gré des intéressés, une trop lourde tâche ; c’est à huit heures qu’il faut la réduire, afin que l’ouvrier ait quelques loisirs. Là-dessus les délégués de toutes les dates et de tous les pays marchent en parfait accord, et quelle chaleur ils y mettent ! Un Anglais, aux conférences de Genève, regarde la réduction du travail à huit heures comme un mot d’ordre à donner aux ouvriers du globe civilisé et un très bon type d’agitation à introduire. « Aux États-Unis, ajoute-t-il, la partie est engagée depuis deux ans et à demi gagnée dans quelques industries ; en Angleterre, le mouvement commence, et déjà plusieurs entrepreneurs ont consenti à réduire d’une heure le travail que de leur propre gré ils avaient depuis longtemps maintenu à dix heures et demie. Huit heures, c’est un marché à mettre en main partout, et, affirme l’orateur, il n’a rien de léonin. Robert Owen a calculé que, si chaque individu remplissait sa tâche, trois heures de travail suffiraient pour défrayer largement tous les services utiles à la communauté. Huit heures donc ! et encore faudrait-il combiner la durée du travail avec le profit que l’ouvrier le plus médiocre doit en retirer, c’est-à-dire arrêter une limite, un minimum, l’équivalent des besoins les plus stricts de la vie, au-dessous duquel le salaire ne pourrait jamais être abaissé. »

Ainsi parlent les ouvriers, et c’est le prendre bien à l’aise. Dans tout contrat, il y a ordinairement deux parties qui s’abouchent et dont les prétentions se tempèrent ; ici il n’y a qu’une partie qui s’adjuge ce qui lui convient et stipule sans contradicteurs. Huit heures de travail au lieu de douze, c’est un tiers à retrancher du produit, un tiers à ajouter à la dépense ; c’est, pour une usine à feu continu, trois relais de huit heures au lieu de deux relais de douze. De telles charges seraient une ruine pour la plupart des industries, et les ouvriers à court de travail en seraient les premiers châtiés. Sait-on beaucoup de fabricans qui se résigneraient à ces exigences hautaines et onéreuses ? Les uns fermeraient leurs ateliers, les autres chercheraient à se défendre en cessant de prendre la journée comme étalon du prix du travail et en le réglant à l’heure ou à la tâche, comme l’usage s’en répand aujourd’hui. De part et d’autre, ce serait une guerre d’embûches, triste perspective ! Il y a plus : au-dessus des deux intérêts aux prises, on en découvre un autre engagé au même chef et digne encore de plus de respect, celui de la communauté. Cette diminution d’un tiers sur l’activité régnicole affecterait d’autant la production, c’est-à-dire la fortune publique, qui ne s’alimente que de ce qu’un pays produit. Les prix de toutes choses, en s’élevant, ne permettraient plus de satisfaire