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ouvriers eux-mêmes, et devant les enrichir par une fructification savante et variée de leurs épargnes. Sur tous ces points, pas de dissentiment ; la croyance était commune, il n’y avait de différence que dans la manière dont elle avait agi sur les cerveaux. Les diapasons en ceci n’étaient plus les mêmes. Chez les Français, c’était un enthousiasme et une confiance sans bornes. La coopération, à les croire, allait d’un coup de baguette changer en or le cuivre des pauvres gens, renouveler la face des industries en y déplaçant l’empire. Aucune ne s’y soustrairait ; l’effet devait être irrésistible, presque immédiat. Les Anglais se défendaient mieux de ces éblouissemens ; ils ne croyaient pas, — et le déclaraient nettement, — que la coopération pût procéder par coup de foudre, ni faire table rase des existences anciennes. Sa marche serait au contraire très lente à leur sens, assujettie aux bonnes et aux mauvaises veines, au bon ou au mauvais choix des agens. Ce qui existait de sérieux en Angleterre n’avait réussi, ajoutaient-ils, que par des moyens plus ingénieux que réguliers, une mise en scène raffinée et une grande habileté de main. De tels élémens de succès ne sont pas communs, partout et toujours ils passeront pour des exceptions : d’où il suit que la coopération, prît-elle crédit, n’entamerait pas, à leur avis, les grandes industries, et n’atteindrait les petites que dans une proportion très minime, quelques millions par exemple sur une vingtaine de milliards ; d’où il suit encore que, le salaire demeurant l’étalon du travail manuel, il n’y aurait dès lors pour les ouvriers qu’à persister dans leur ancienne manière d’amener les entrepreneurs d’industrie à composition : des grèves méthodiquement conduites et s’étendant comme un réseau sur toute l’Europe.

Tel fut ce conflit d’opinions. Comment se termina-t-il ? Par un compromis fixé dans une rédaction mixte d’où les mots en litige, grève et coopération, sont exclus. Le congrès déclarait « que l’état actuel de l’industrie, qui est la guerre, emporte l’obligation d’une aide mutuelle pour la défense des salaires, mais qu’il y a pourtant un but plus élevé à atteindre, qui est la suppression de ceux-ci. » C’était, comme on dit familièrement, renvoyer les parties dos à dos. Système à part, nos ouvriers s’en tirèrent bien. Ils tinrent en échec les prétentions rivales, et eurent la sagesse d’opposer une formule en tout cas inoffensive, la coopération, à la formule brutale des Anglais, la grève. Chacun garda ainsi, sans confusion possible, sa part de responsabilité.

Ce débat n’est pas le seul où les tempéramens particuliers des peuples se soient mis en opposition. Deux scènes assez vives ont eu le même caractère. L’un des grands soucis du groupe d’ouvriers français semblait être de se retrancher dans le bureau de