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ce qu’ils avaient vu. De là des documens qu’on peut considérer comme émanant des ouvriers eux-mêmes et comme une expression sérieuse de leur pensée. Sur la partie technique, point ou peu d’observations à faire : l’intérêt n’est pas là ; mais il y a dans les rapports des délégués une autre partie bien tranchée, bien distincte, et qui n’est rien moins qu’une exposition de doctrines, un vrai manifeste, où ils se prononcent au nom des ouvriers sur les problèmes économiques qui sont à résoudre. C’est dans ces déclarations de principes que se réfléchit le mouvement vrai des esprits.

Dans une circonstance plus récente, on en a eu un nouveau témoignage. Au mois de septembre dernier, il a été question d’un congrès d’ouvriers réuni à Genève. Tant de congrès nomades courent le monde sous des noms de fantaisie, que l’attention n’a pas d’abord été très excitée par ce dernier venu. Il a fallu du temps pour reconnaître que c’étaient en effet des ouvriers ayant pris rendez-vous pour débattre en commun les intérêts de leur profession. D’où sortaient-ils ? comment s’étaient-ils constitués ? On l’a su dès leurs premières séances. Londres a été le berceau et le siège de l’œuvre ; la visite des délégués de 1862 en a été probablement le germe. L’idée initiale était d’établir entre tous les ouvriers des états civilisés un concert pour l’action et la résistance. Sur cette idée fut fondée, sans bruit et par de lentes affiliations, une association internationale des travailleurs. Les cotisations avaient été calculées de manière à n’exclure ni ne décourager personne ; trente centimes par an, quoi de plus discret ? Et cependant à ce prix le conseil central parvint à instituer tout un service de communications et de correspondances, un bureau de renseignemens servi par un bulletin publié en cinq langues. Chaque état de l’Europe devait former une section, chaque section était à son tour investie de la présidence. Tout cela fut fait d’instinct avec autant de tact que de vigueur ; les Anglais ont le génie de ces promptes exécutions. Les résultats, à ce qu’on assure, ont dépassé l’attente des chefs de ce mouvement ; l’appel a été entendu en France, en Allemagne, en Belgique, en Italie et en Suisse : en moins de trois ans, 160,000 noms se sont inscrits sur les listes de l’Association. Ces chiffres sont ceux que donnent les parties intéressées ; enregistrons-les sans les garantir, ils ne sont pas susceptibles de contrôle. Toujours est-il que, malgré les distances qui les séparaient, ces hommes ont pu s’entendre, se répartir les rôles et se trouver réunis à point nommé dans la ville où leurs conférences devaient s’ouvrir.

Pour Genève même, cette descente d’ouvriers a été une surprise ; la section de la Suisse romande, chargée des préparatifs d’installation, y avait pourvu très modestement : c’est dans une brasserie