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là maintenant des vérités proverbiales, niées uniquement par les gens intéressés à soutenir qu’il n’y a pas de vérités en politique. Elles sont les plus importantes et les plus élevées des idées et des passions de l’époque ; mais elles ne sont pas les seules, et l’on trouve mêlées à ces théories, dites chez nous de 89, des conséquences qui n’ont guère moins de gravité et ne méritent pas moins d’attention.

Il est évident qu’à toute société qui veut être ordonnée suivant ces principes il faut un gouvernement qui les adopte avec sincérité, un gouvernement dont les regards ne soient pas constamment tournés vers le passé, et qui vive de réforme plus que de tradition. Or cette nécessité, quelque envie que l’on ait de s’attacher aux choses plus qu’aux personnes, oblige de tenir grand compte des personnes dans les crises d’innovation, et la question, des individus ou des classes à qui l’on doit confiance, la question enfin des dynasties se pose très souvent en même temps que celle des institutions. Les dissidences naturelles sur les idées s’exagèrent et s’enveniment au contact des souvenirs et des ressentimens qui deviennent trop aisément des passions. Là encore s’ouvre une source qui mêle ses flots d’amertume au grand courant des révolutions.

Une autre conséquence de l’application des principes du libéralisme, c’est que, les derniers débris du privilège ayant fait place au droit commun, la société devienne comme un concours légalement ouvert à toutes les aptitudes, à tous les efforts, à toutes les ambitions. Cette égalité devant la loi est proprement la base de la démocratie, ou plutôt c’est la démocratie même comme on l’entend aujourd’hui, et il est impossible que de la société elle ne remonte pas dans le gouvernement. Or ces choses ne peuvent se faire, ces mots même ne peuvent être prononcés, sans inquiéter ce qui reste par tout pays de l’ancienne classification sociale. La distinction inévitable et naturelle qui subsiste entre les diverses couches d’une société en transition, entre les diverses associations d’intérêts homogènes, résiste d’instinct à ce progrès continu d’égalité. De là des oppositions de vues, des conflits presque toujours mal fondés, surtout des craintes et des défiances qui ne laissent pas toujours s’établir d’une manière inoffensive la concurrence et l’harmonie. C’est sur ce point peut-être que naît le plus facilement la lutte déplorable des préjugés et des utopies. Les systèmes prompts à éclore changent les partis en sectes, et colorent par les illusions du fanatisme le crime de la propagande à force ouverte.

Des idées telles que celles qui viennent d’être esquissées ne peuvent se répandre sans populariser en quelque sorte l’ambition. Le simple titre de citoyen s’élève, et, convoité chaque jour et plus