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se demande ce qu’il vient faire en pareille histoire. Rien autre chose, sinon commenter mon personnage principal. Dans l’acte où je l’ai représenté, fut-il, ne fut-il pas de bonne foi, on ne l’a jamais trop su, et mon renard avertit le public de se bien défier. » N’en déplaise à Gluck, à Cornélius, et à tant d’autres grands esprits ayant parfois sacrifié jusqu’à l’excès à la recherche du symbole, ce renard-là, en langage de théâtre, s’appelle la petite bête, qu’il ne faut point vouloir chasser de peur qu’elle ne nous égare.

Ce qui rend la musique de Gluck désormais impossible à la scène, c’est surtout la nature des poèmes auxquels cette musique sert d’interprète. Rien dans ces mœurs, dans ces passions, ne nous intéresse. Nous ne croyons ni aux événemens ni aux motifs qui les ont amenés. La musique s’attache à rendre le vrai humain, le vrai immédiat, tandis que ces personnages et ces situations s’agitent en dehors de toute espèce de vraisemblance. Et puis quelle fonction pour un art appelé à vivre de sa propre vie que celle de servir de simple truchement à la parole, d’user son temps à éplucher des verbes et des adjectifs ! N’était-ce donc point assez, justes dieux, de la tragédie en vers, sans encore avoir la tragédie en musique ? Des actes qui s’engagent par un récitatif, se développent par une suite d’airs et lamentablement se terminent par une monotone mélopée ! Toutes les grandes formes musicales, l’introduction, le chœur, le finale, sacrifiés à l’économie du plan dramatique !

J’admets que le récitatif soit de toutes les formes musicales celle qui accentue le mieux chaque partie du discours, celle qui de plus près serre l’expression non pas d’un sentiment, mais d’une phrase, d’un mot. Toutefois prenons-y garde et n’allons pas conclure de là que le récitatif soit le dernier terme de la musique ; car, s’il en pouvait être ainsi, la musique aurait abdiqué toute son action individuelle, et de maîtresse deviendrait esclave. Pour prouver ma thèse, un simple argument suffira. Qu’on me cite les plus beaux récitatifs qui existent : celui d’Iphigénie précédant la fin du premier acte, celui de dona Anna dans Don Juan, de Léonore dans Fidelio, d’Arnold à son entrée au premier acte de Guillaume Tell, et je dirai tout de suite que ce sont là d’admirables chefs-d’œuvre qui, au point de vue du vrai philosophique, l’emportent sur tous les airs du monde, car en eux se trouvent unis dans un indissoluble hyménée la parole et le chant, l’épopée et la mélodie ; je m’écrierai avec enthousiasme que c’est le beau, le sublime d’un art qui est peut-être plus que la musique, mais qui ne saurait absolument être accepté pour de la musique. Et la preuve, c’est que si vous exécutez un de ces récitatifs en en supprimant les paroles, tout aussitôt le sens musical disparaît. Que devient le