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Il y avait là un certain anonyme de Vaugirard dont les ripostes vous démontaient de pied en cap un adversaire ; l’infortuné La Harpe, si souvent mis par lui hors de combat, ne remontait sur sa bête que pour se voir infliger des confusions nouvelles. Aux violences de l’ennemi, brochures, pamphlets, chansons, les gluckistes répondaient par cette fière manœuvre pratiquée depuis Scipion par tous les victorieux : « montons au Capitole, voyons la caisse ! » On interrogeait les recettes, et les chiffres étaient énormes : cent soixante mille livres pour quelques représentations d’Armide ! « Je n’aime pas le brailler et je n’entends pas le raisonner, » s’écrie le pseudonyme Urluberlu en terminant son apologue, auquel il donne pour moralité ; les huit cent mille livres de bénéfice net produits par les quatre ouvrages : Iphigénie, Orphée, Alceste, Armide.

Gluck lui-même ne laissa pas d’intervenir publiquement dans le débat. Il imprima sur sa musique et son système un article dans la Gazette de France, un autre dans la Gazette de Littérature. Ces diverses pièces, jointes aux préfaces et dédicaces de ses opéras, forment un volume publié à Paris en 1781, et qu’il faut lire non point seulement comme un exposé de doctrine, mais comme un témoignage de ce que peut parfois le génie, dans les excursions qu’il se permet en dehors de ses domaines. Cette prose-là n’est certes ni d’un musicien ni d’un Allemand ; on y saisit à tout propos le sentiment vrai de la langue, l’art de bien dire, le nerf du style. Pourquoi ne réimprimerait-on pas ce volume ? Ce serait œuvre de lettré d’éditer à nouveau ces pages dont quelques notes, rattachant le passé au présent, feraient un livre tout actuel. On y verrait qu’en somme il n’y a de vivans que les morts, et qu’il suffisait d’avoir lu la préface d’Alceste, écrite il y a près d’un siècle, pour découvrir, la trop célèbre théorie de l’avenir. — « Avant de me mettre au travail, écrivait Gluck ; ma grande affaire est d’oublier que je suis musicien, de m’oublier moi-même pour ne plus voir que mes personnages. Je commence par étudier mon sujet acte par acte ; ensuite je repasse l’ensemble dans mon cerveau, après quoi je me transporte d’imagination dans la salle du spectacle. Je me figure que je suis assis au parterre, et je compose. Tout cela fait que mon