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le repas, dans ces opéras écrits sur la commande d’un directeur de théâtre de rencontre. Pour le naïf qu’ils y mettent sous les deux, on dirait parfois de vieux peintres allemands. Mozart, voulant rendre l’idée de grandeur, d’omnipuissance, intitule une symphonie : Jupiter ! C’est là sa symphonie héroïque, à lui. Beethoven songe à Napoléon, Mozart ne pense encore qu’à Jupiter. D’un côté, vous avez le splendide soleil couchant de la période classique, de l’autre l’aurore du romantisme incendiant le ciel. L’œuvre de Mozart est un morceau d’antique musical dans le sens des vieux grands italiens. Son Jupiter a la sérénité, la gaillardise d’un olympien repu d’ambroisie et de nectar. C’est le dieu monarque et badin qui lance la foudre et fait la débauche, le Jupiter-Louis XIV, amant de Sémélé, de Danaé, de toutes les belles dames de la cour. Dans le menuet, vous la voyez danser aux noces de Thétis ; mais dans l’adagio on sent monter vers lui l’hymne des humains, et la fugue finale nous le montre, d’un trait magnifique, en sa toute-puissance, laissant tomber d’en haut sur la terre un regard calme, impassible. Lumière, harmonie, goût suprême ! c’est là le véritable art classique, l’art grec musical entrevu par les compositeurs italiens de la renaissance, et dont Mozart, entre tous, possède le secret, le canon. Cette forme architecturale, élevée et pure, où l’air circule librement, où partout clarté pénètre ; semble construite pour l’éternité, ce qui n’empêche pas les mélodies et les harmonies d’être complètement modernes. La critique historique et philosophique n’a rien à prétendre dans ce style ; c’est le génie antique deviné par le génie moderne, qui n’en reste pas moins fidèle à lui-même et à son temps.


I

Avant Haydn, Mozart, Gluck avait reçu la tradition de cette grande école classique italienne, à laquelle il se rattache par le naturel de ses mélodies, la sobriété de son instrumentation ; mais sa destinée, à lui, n’est point là seulement. Son génie naîtra plus tard d’un système. Dans son premier voyage en Italie, il se contente de ce qui suffit à Piccini, à Sacchini, disciple déjà plus profond, passe à côté de la tradition des maîtres, qu’il reprendra quelque jour, selon son propre formulaire et lorsque l’étude et l’expérience lui auront démontré que tout ce qu’il a fait est à refaire. Né le 4 juillet 1714 à Weissenwang, en Bohême, dans les états du prince Lobkowitz, il se rend très jeune à Prague, où il acquiert une certaine force sur le violoncelle. A dix-sept ans, il entre à Milan au service du prince Malzi, étudie la composition et au bout de quatre ans, écrit son