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que l’opéra, — l’art que M. Richard Wagner voudrait de nos jours restaurer, n’ayant pu l’inventer. Çà et là quelques maigres fragmens mélodiques, des chœurs, des marches, des motifs de danse, viennent égayer d’un peu de lumière la désastreuse monotonie de ce dialogue, l’ennui sans fin de ce récitatif. Ces chœurs même ont parfois du solennel, une certaine pompe qui rappelle, pour la simplicité de l’harmonie, les hymnes liturgiques. Malheureusement tout cela reste à l’état embryonnaire, l’art manque ; cette mélodie qu’on pressent n’aboutit pas. Ne cherchez point le musicien, vous ne trouveriez qu’un régisseur de théâtre, un industrieux metteur en scène des spectacles de la cour : l’architecte de cette période, l’homme qui sait son affaire, sera Gluck. Lui aussi se passionnera pour l’accent de la vérité, tendra de toutes ses forces vers la beauté de l’expression, mais sans perdre de vue la forme, sans oublier qu’un système, quel qu’il soit, ne délie pas un homme de ses devoirs envers les règles de son art, et qu’il n’y a de vrais musiciens, de vrais peintres et de vrais poètes que ceux qui savent composer, dessiner, écrire et soumettre leur originalité personnelle aux imprescriptibles lois du beau esthétique.

On a souvent dit de Gluck que c’était un ancien. Qu’entendait-on par là ? Que dans les arts du dessin tous les principes du beau remontent vers la Grèce, rien de plus juste. Dans les arts plastiques, en poésie, toute notre esthétique moderne repose sur l’antique. Pour la musique, c’est autre chose, le sol manque, vous bâtissez dans le vide. Pour le musicien, l’antique n’existe pas. Les œuvres sont nulles ; en fait de donnée historique, rien de consenti, de positif. Vous discuterez des années sans faire que la question ait avancé d’un pas. L’antique musical n’a de valeur qu’à titre théorique, et ne conserve absolument plus de sens dès qu’il s’agit de composition, de pratique. L’art antique, musicalement parlant, n’est autre que l’art classique, un art simple, naïf, élevé, sachant garder sa dignité, son calme, sa mesure jusque dans la tempête passionné, mais sans le laisser voir, tandis qu’aujourd’hui, ne l’étant pas, nous voulons à toute force le paraître. Ici, nouvelle question. Où commence cet art classique ? où finit-il ? Pour les uns, c’est avec Bach que la période s’inaugure ; pour les autres, c’est Bach qui la vient clore. Et Beethoven, qu’en fait-on ? De celui-là, tout le monde veut. Les classiques l’adoptent, les romantiques l’acclament. Il n’y a de discussion que sur le choix des styles. Les hommes du passé voudraient bien s’en tenir à sa première et seconde manière, en revanche les néo-romantiques ne reconnaissent que la troisième, la dernière ; N’oublions ni la musique du présent, ni la musique de l’avenir, également appelées à faire valoir leurs droits, et qui dans