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nous faisait guère que du mal, elle traitait mieux l’Europe. Par elle, ce qu’on pouvait entrevoir depuis quelques années se manifestait à tous les yeux. On put mesurer le dépérissement de tous les établissemens de 1815, et des troubles universels inaugurèrent pour eux une situation qui dure encore ; mais de cette situation naissante la France, paralysée par sa crise intérieure, n’a rien fait ou même rien vu. Qui ne se rappelle le caractère de la révolution de 1848 ? Il était plutôt économique que politique. On s’entretenait du capital et du travail, très peu de tout le reste. Ce qui a passionné les gens, ce n’est pas la question des droits, c’est la question des salaires. Tout ce qui était international était à peu près non-avenu. Des hommes de l’époque, les aventureux ne rêvaient que socialisme, les prudens ne songeaient qu’à éviter le socialisme, et tous continuèrent à l’égard de l’Europe la politique du règne précédent, comme si les circonstances qui la motivaient étaient restées les mêmes. Bientôt, non contens de n’être que conservateurs, nous voulûmes être réactionnaires. De manière ou d’autre la force et la grandeur de la situation furent méconnues.

On sait quels événemens signalèrent l’année 1848 et une partie. de la suivante. C’est dans toute l’Allemagne et dans toute l’Italie qu’ils éclatèrent. Tous avaient le même caractère, celui d’une prise d’armes contre l’ancien régime et le régime de 1815. Ils tenaient à des causes antérieures qui ne devaient pas finir avec eux ; mais dans la brusquerie de leur explosion, dans quelques-unes de leurs formes et de leurs suites, ils accusaient leur origine immédiate : ils se ressentaient de l’influence du 24 février, et la défaveur qui s’attachait en France à tout ce qui provenait de cette source les vouait naturellement à l’aversion, tout au moins à l’indifférence du pays réputé si longtemps le protecteur-né des révolutions. L’Allemagne, la Hongrie, l’Italie, avaient beau faire, elles n’obtenaient pas qu’à Paris on pensât seulement à elles, ou si l’on y pensait, c’était pour déplorer les embarras qu’elles donnaient au principe de l’autorité, ou pour coopérer à le restaurer dans son intégrité première. Peut-être était-il impossible d’échapper à cet entraînement général ; il l’était certainement d’y résister. Et grâce à cette réaction naturelle, dix-huit mois ne se passèrent pas sans que les flots débordés fussent ramenés dans leur lit. Abandonné à lui-même, n’étant ni dirigé, ni exploité, ni soutenu, le mouvement devait peu à peu s’amortir, et l’esprit conservateur respira. S’il était permis de se réjouir de la disparition des symptômes violens et des effets pernicieux d’une crise universelle, il eût été raisonnable au moins d’apercevoir qu’en rentrant dans le calme tout ne rentrait pas dans le néant, que la réaction n’avait, à parler familièrement, enlevé que le plus gros,