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international qu’intérieur, un système d’institutions et de pouvoirs formé et animé par la haine ou la crainte des souvenirs à la fois de la révolution et de l’empire.

Le grand événement de 1830 ne changea pas d’abord cet état de choses dans ses élémens essentiels. Seulement il accentua davantage tous les sentimens auxquels il venait répondre. Il donna en tout pays plus de vivacité, çà et là plus de liberté à l’expression des vœux ou des volontés populaires ; mais l’ensemble des choses fondé en 1815 subsistait en majeure partie. Vainement l’esprit qui l’avait établi était forcé de reculer sur quelques points, vainement la liberté, avec le drapeau tricolore et une dynastie nouvelle à Paris, la réforme à Londres, la révolution en Belgique, en Espagne, ailleurs encore, montrait à tous que le courant avait changé. Nicolas régnait à Pétersbourg et Metternich à Vienne ; la Prusse sauvant par ses complaisances envers la Russie ses jalousies contre l’Autriche, la confédération inerte, vaniteuse et craintive, l’Italie diversement opprimée, disaient assez qu’on ne pouvait rien espérer de décisif tant qu’une secousse inattendue ne viendrait pas montrer à l’ébranlement de l’édifice qu’il n’était pas éternel. Néanmoins, sauf quelque accident perturbateur, il pouvait se tenir debout longtemps encore, car la France, seule tentée d’y porter atteinte, ne pouvait se laisser soupçonner d’y penser, sans rallier contre elle presque tous ses anciens ennemis et donner l’alerte à toutes les sentinelles préposées à la garde de tous les anciens régimes. Il fallait des années pour rompre le charme qui la retenait encore dans l’isolement et briser les derniers nœuds des anciennes coalitions.

Le temps en effet ne cessait pas de faire son travail insensible. Par des gradations peu apparentes, il amène un déplacement de forces et d’idées qu’une sagacité supérieure aperçoit avant même qu’aucun fait saillant n’en porte témoignage. Souvent l’opinion publique s’en avise avant les gouvernemens. C’est ainsi qu’au commencement de l’année 1847 on a pu reconnaître les symptômes de quelque crise prochaine. « Les événemens mûrissaient, » comme dit Montesquieu, et il était visible que la stabilité relative de l’ordre européen touchait à son terme. Malheureusement le monde, à cette époque comme à tant d’autres, chercha en vain quelques-uns de ces hommes nés pour devancer les faits particuliers en observant les faits généraux. La prudence humaine, dans une humble inaction, laissa la lumière fortuite d’un accident brutal éclairer soudainement la scène politique.

Nous passons ici de l’ère de 1815 à celle de 1848. La révolution de février allait à son tour exercer sur nos esprits une pression qui déterminerait notre attitude et notre conduite. Tandis qu’elle ne