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croire la continuatrice des coalitions contre-révolutionnaires ; elle confondit l’empire avec les régimes que l’empire avait renversés, l’impérialisme avec le libéralisme, et ce funeste génie de 1815, qui devait compromettre une à une toutes les monarchies du continent, inspira toutes les résolutions, suggéra tous les traités, devint l’âme de la sainte-alliance. C’est lui qui plus tard et successivement à Carlsbad, à Troppau, à Laybach, à Vérone, dicta tous ces odieux manifestes des royautés infatuées contre l’esprit de leur temps et les vœux de leurs sujets.

Telle est l’œuvre de 1815 avec ses conséquences les plus significatives. C’est là ce qui a laissé dans le cœur des peuples un levain d’humiliation, de crainte et de colère que pendant quinze ans, pendant trente ans, d’heureux jours et d’heureux efforts n’ont qu’à peine amorti. La France en effet n’avait pas tardé à fermer quelques-unes de ses plaies. Elle avait su tempérer les excès d’une réaction insensée. Elle avait peu à peu regagné un terrain qu’un pouvoir plutôt timide que malveillant ne lui disputait pas toujours. Cependant au fond la situation générale était restée longtemps telle que 1815 l’avait faites. L’Europe présentait d’un côté presque tous ses gouvernemens ligués dans un effroi commun contre les aspirations des peuples, et de l’autre la France presque seule, toujours défiante et suspecte, alarmant les trônes par le spectacle de ses libertés combattues, irritée et contenue par le souvenir de ses revers, et cependant fière et menaçante de toute la puissance de ses idées et de ses exemples.

Lisez les voyages publiés pendant plus de vingt années, ils vous parlent tous le même langage. Partout ils décrivent en Europe un mécontentement sourd qui s’étend peu à peu dans les masses et mine lentement le sol sous les pieds du pouvoir. Partout ils racontent que les hommes éclairés pressentent dans un avenir plus ou moins prochain un changement de régime qui les effraie ou leur sourit, mais dont ils imputent la nécessité à l’entêtement ou à l’apathie des gouvernemens. Dans le sein de toute société, il se développe une ambition, une impatience de voir enfin, sous une forme ou sous une autre, se réaliser partout, quelque chose de la révolution française. Tout le monde n’invoquait pas la France, le patriotisme interdit quelquefois de pareils appels ; mais tout le monde avait son ancien régime dont il souhaitait avec une ardeur comprimée la chute, et réclamait des réformes entreprises au nom du droit commun. Or le droit commun, qu’est-ce, sinon la garantie écrite de quelque liberté ou de quelque égalité ? L’obstacle à l’accomplissement de ces vœux si généraux et si naturels était partout le même : c’était l’établissement de 1815, l’établissement tant