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ont dû se replier vers la frontière. La guerre civile est allumée ; quand et comment finira-t-elle ? La lutte se prolonge plus qu’on ne s’y était d’abord attendu. Les Européens n’ont souffert, il est vrai, aucun mal dans leurs personnes, quoiqu’ils aient essuyé des pertes au milieu de ces désordres ; mais ils ont été en péril, et presque toute la colonie chrétienne, d’ailleurs assez peu nombreuse de Mandalay a dû se réfugier en même temps que l’agent du gouvernement britannique sur un vapeur anglais, le Nerbudda, dont les partisans du roi se sont un instant rendus maîtres. De tels faits, qui se reproduisent périodiquement dans l’histoire du Birma, montrent combien il est difficile que la situation s’améliore sérieusement. La royauté est le point de mire des ambitions les plus désordonnées : fût-il animé des meilleures dispositions et même doué des plus grands talens, un souverain, sans cesse exposé à voir ses projets et ses efforts arrêtés ou contrariés par les complots de ceux qui se disputent à l’avance sa succession, est réduit à l’impuissance ; les étrangers ne peuvent commencer avec confiance ni mener à fin aucune entreprise de longue haleine. Les autorités anglaises s’alarment, et les voilà, par le fait du conflit peut-être accidentel qui s’est élevé à propos du Nerbudda, amenées à intervenir directement. L’ambition, sollicitée par des circonstances favorables, ne s’unit-elle pas à la prudence pour leur dire qu’il faut détruire ce foyer d’agitations stériles et imposer ou donner la paix à un peuple qui ne sait pas la garder ou ne peut l’obtenir de ses princes ? Aussi des voix se sont-elles déjà élevées dans la presse et ailleurs, à l’occasion des derniers événemens, pour demander l’annexion pure et simple du Birma. En présence de la puissance anglaise, les Birmans auraient peut-être un moyen d’échapper au péril qui les menace, ce serait de développer paisiblement, par le commerce et l’industrie, les ressources de leur pays, en offrant aux négocians étrangers d’inviolables garanties de sécurité. Un roi, des ministres le comprendraient peut-être : la race royale, multipliée par la polygamie, ne peut le comprendre. Les fils du roi sont trop nombreux et ont trop de préjugés pour que le souci des véritables intérêts du peuple et même du trône puisse les préoccuper sérieusement et mettre un frein à leurs passions violentes ; l’empire birman périra par la folie et les crimes de ceux qui ont pour mission de le maintenir. Un peuple, lorsqu’il est mis en contact avec l’élément européen, ne saurait désormais subsister qu’à la condition de prendre son parti d’entrer dans les voies de la civilisation. Il ne peut se soustraire à la domination des étrangers qu’il redoute qu’en subissant de bonne grâce leur ascendant moral.


LEON FEER.