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prétendit avoir besoin d’entreprendre un voyage pour se procurer certaines substances : ce voyage n’eut aucun succès ; il en exécuta un second pendant lequel le roi le fit accompagner par un détachement de soldats. A son retour, on lui bâtit un laboratoire dans le palais, et, comme les premiers essais furent infructueux, on le fit surveiller, garder étroitement, si bien que le malheureux finit par s’empoisonner. M. Bastian n’avait point proposé de faire des choses extraordinaires, tout son crime était de n’en vouloir point faire ; mais il savait ce qu’il en coûte de tromper les espérances d’un roi de l’Indo-Chine, et, malgré la confiance qu’il ne cessa de manifester, il était préparé aux éventualités les plus fâcheuses.

C’est du harem que lui vint la première lueur de salut : la quarantaine à laquelle on soumettait le médecin rebelle entravait la cure qui s’y faisait par ses soins, Les deux malades envoyèrent chercher des médicamens. M. Bastian manquait en ce moment des ingrédiens nécessaires ; il voulut sortir et aller en ville pour en acheter. Les sentinelles lui barrèrent le passage ; la consigne était de ne laisser sortir que le cuisinier une fois par jour. M. Bastian fit demander et obtint l’autorisation du prince ; non content de ce premier succès, il se rendit de sa personne à la demeure du prince, pénétra jusqu’à lui malgré des ordres contraires, se plaignit de la manière dont on traitait un homme qui était l’hôte et non le captif du roi. Le prince se défendit comme il put, donna à entendre qu’on était las de la situation, et fit pressentir un dénoûment pacifique. M. Bastian, s’étant pourvu des choses nécessaires, administra aux malades du harem des médicamens qui n’eurent point d’effet. Impatientées, elles vinrent de nouveau chez le prince pour être examinées encore une fois : M. Bastian arriva au rendez-vous les mains vides. Elles manifestèrent une désolation telle que, pour témoigner son bon vouloir, il leur ordonna des sangsues, excellent moyen de mettre fin à la cure, sinon à la maladie. L’envie de guérir fit passer les malades par-dessus la répugnance que leur inspirait, l’horrible remède ; mais l’opération causa un tel dégoût et de si grands ennuis, elle éveilla dans les consciences bouddhiques de tels scrupules qu’on fut rassasié de la médecine européenne dans la ville royale de Birma. Dès lors il ne fut plus question de maladies, ni de médicamens, ni de traitemens. La faveur du roi brilla de nouveau sur l’horizon de M. Bastian ; les courtisans reparurent en foule avec elle, et les visites, les entretiens, les récits, recommencèrent pour ne plus cesser jusqu’au départ.

Avant de quitter le palais, M. Bastian fut témoin des solennités qui marquent chez les Birmans le renouvellement de l’année. Le dieu Çakra ou Indra assiste à ces fêtes, il descend du ciel à minuit