Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/141

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

refuser des médicamens commandés par sa majesté. Le fils du roi, hors de lui, somma une dernière fois M. Bastian de faire cette cure, alléguant la volonté expresse de son père ; M. Bastian refusa, alléguant la force des choses. A dater de ce moment, il fut gardé à vue ; des sentinelles furent placées aux portes de sa demeure, on ne laissa plus sortir que le cuisinier une fois par jour pour aller aux provisions. Le vide se fit autour de l’étranger ; cette maison, où il y avait tant de mouvement et d’entrain, des réunions si gaies, des chants, des conversations si animées, était maintenant déserte : il y régnait, dit M. Bastian, un silence de mort. Personne ne venait plus, le prince protecteur, les amis, le précepteur lui-même, tout avait disparu avec la faveur royale. M. Bastian restait seul dans sa maison, entouré de ses serviteurs, plus morts que vifs, tremblant de peur et croyant voir venir à chaque instant les bourreaux du roi. M. Bastian les remonta un peu par son exemple, car, bien qu’il ne se fît pas illusion sur la gravité de la situation, son calme extérieur ne se démentit pas, et il conserva même sa bonne humeur habituelle. Pendant huit jours qu’il fut ainsi mis au ban de la société birmane, il partagea son temps entre l’étude et des entretiens avec ses domestiques ; il les faisait causer pour qu’ils oubliassent leurs sinistres préoccupations.

Il lui arriva, pendant cette période de disgrâce ; certaines visites dont l’étrangeté n’était pas faite pour le rassurer. Un soir il entend le bruit d’une troupe de soldats en marche : on fait halte sous ses fenêtres, on monte, la porte s’ouvre, et il voit paraître deux officiers. Il les reçoit avec sa cordialité accoutumée, les fait asseoir et engage la conversation en les questionnant sur un passage d’un livre birman qu’il étudiait en ce moment. Pour toute réponse, les deux militaires fixent sur lui des yeux étonnés, regardent tout autour d’eux avec inquiétude et s’en vont sans mot dire. Le même fait se reproduisit deux ou trois fois, et cependant les domestiques ne tarissaient pas de récits à faire frémir ; ils racontèrent entre autres l’histoire d’un étranger que le roi fit renvoyer à Rangoun parce qu’il avait désobéi à ses ordres, mais qui fut mis à mort pendant la nuit à la troisième station.

Le précepteur de M. Bastian vint le voir une fois pour s’assurer s’il était toujours dans les mêmes dispositions. M. Bastian fut inflexible, et fit tout ce qu’il put pour lui démontrer combien l’exercice de la médecine était contraire au but de son voyage. Dans la conversation, le précepteur eut soin de raconter, par forme d’avertissement, l’histoire d’un mahométan qui s’était vanté de pouvoir faire de l’or. Il en fabriqua d’abord une petite quantité ; mais le roi exigea que l’expérience fût renouvelée en grand. L’opérateur