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sacrifices il était déjà réduit par l’édit royal, et que le maigre régime auquel il s’astreignait était le minimum d’abstinence que la saine raison et la justice permissent de lui imposer. Il paraît que le prince fut touché et persuadé.

Convaincre un seigneur de la cour sur un point de droit ou d’hygiène était chose encore assez facile ; mais tenir tête au roi, résister à la volonté du monarque hautement exprimée, était une tâche infiniment plus délicate et plus ardue : néanmoins elle échut à M. Bastian. Malgré la déférence et le respect dont on l’entourait, malgré les égards dont il tempérait sa franchise dans ses relations avec le monarque, il ne put éviter d’avoir avec lui un dissentiment assez grave, mais il eut l’art et le bonheur d’échapper soit aux dangers les plus sérieux, soit aux plus périlleux honneurs. Il semble que le roi ait eu l’intention de l’attacher à sa personne comme médecin ; en tout cas, il voulut utiliser les connaissances spéciales de son hôte. M. Bastian eut à lutter énergiquement pour ne pas être entraîné dans une voie qu’il était décidé à ne point suivre : il lui fallut beaucoup de fermeté et de prudence pour naviguer sans naufrage à travers tant d’écueils, pour sauver sa vie des accès de colère même du plus doux des monarques asiatiques et pour garder sa liberté menacée de périr dans les fonctions de médecin ordinaire de sa majesté birmane.

L’art de guérir est un de ceux, qui excitent au plus haut degré l’imagination des Birmans, naturellement portée aux visions fantastiques ; ils ne le conçoivent pas dégagé des procédés les plus extravagans : les exorcismes, la magie sont intimement liés, dans leur pensée, à l’exercice de la médecine. Une des premières visites que reçut M. Bastian fut celle du médecin de son prince. Ce praticien était muni d’une botte de drogues arrangées sous forme de cylindres et fortement aromatisées, qu’il débitait pour favoriser les accouchemens, rendre invulnérable, exciter l’amour, etc. Pour faire cesser les maladies, on ne songe guère dans ce pays à prescrire l’emploi de telle ou telle substance ; on se préoccupe avant tout de consulter les astres, de combiner des signes cabalistiques, de faire parler les démons. On comprend que chez de pareils peuples un médecin étranger est toujours le bienvenu, et qu’on en attend des merveilles. Bien qu’ils soient assez riches de leur propre fonds et qu’ils ne soient en faute ni de prétentions magiques ni de pratiques de tout genre, cependant, comme on n’en saurait avoir trop, et que d’ailleurs, en dépit de l’astrologie, des exorcismes et de la magie, la maladie et la mort font toujours leur œuvre, ils sont à l’affût de tout secret nouveau qui pourrait leur être apporté même par les plus méprisés koula. Ils supposent d’ailleurs que ces