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Le roi fit encore d’autres questions, dont l’une prêtait à l’ambiguïté et ne put être résolue pour M. Bastian : elle était relative au plus haut dignitaire ecclésiastique de l’empire, à ce chef de tout le clergé bouddhique dont nous avons déjà parlé, qui réside à Mandalay, et qui est comme le pape ou le primat des Birmans. Malgré toutes les explications de l’interprète, M. Bastian ne put parvenir à démêler si le roi lui faisait demander « d’adorer » ce personnage, ou seulement de lui témoigner du respect, et peut-être même de lui rendre visite. Il fit donc prier le monarque de ne plus lui poser de questions équivoques.

L’entretien se termina par quelques questions du roi sur la manière dont son hôte se trouvait traité, et il lui demanda à ce propos à quel chiffre se montait sa dépense mensuelle. M. Bastian n’attacha pas d’importance à cette question, et donna un chiffre pris au hasard ; il n’aurait pu donner un chiffre exact, étant depuis trop peu de temps dans le palais pour pouvoir se rendre compte de la dépense. Presque aussitôt un sac fut glissé jusqu’auprès de lui, et le consul des étrangers, qui lui servait d’interprète, lui dit que c’était ce que le roi lui offrait pour le défrayer. M. Bastian se trouva dans le plus grand embarras ; il ne voulait pas accepter, il ne pouvait refuser, et son interprète se serait fait couper la langue plutôt que de prononcer une parole impliquant le refus des dons du roi. Le monarque, qui ne se doutait guère des scrupules de son hôte, lui montra en même temps son trésorier et dit que c’était de ce fonctionnaire que M. Bastian devait recevoir la somme allouée pour sa dépense mensuelle, l’engageant même à la réclamer en cas d’oubli. M. Bastian ne pouvait que garder le silence. Le paiement ordonné fut effectué une seule fois, et M. Bastian ne s’occupa plus de cette affaire. Les secrétaires, voyant son indifférence pour les dons du roi et qu’il refusait de compter la somme offerte, finirent par se l’adjuger. Lorsque M. Bastian quitta le palais, il se trouva avoir dépensé en présens plus que le total des sommes accordées par le roi, et le peu qu’il en avait touché lui servit à indemniser en partie son domestique du vol dont il avait été victime.

Dans une autre audience, le roi s’informa encore du progrès des études de M. Bastian et le questionna sur la situation politique de l’Europe. Le mécanisme de la Confédération germanique ne lui parut pas un chef-d’œuvre de clarté, et il eut quelque difficulté à s’en rendre compte, peut-être même n’y parvint-il pas. Si plus tard quelque nouveau voyageur lui expose les événemens de juin et de juillet 1866 et la bataille de Kœniggraetz, il comprendra sans doute plus aisément ; mais il jugera qu’en Europe on observe bien imparfaitement le précepte de ne pas tuer. Lui qui aurait pu anéantir