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bazar les liqueurs défendues. C’est le précepte de ne pas tuer que ce religieux monarque s’applique surtout à faire respecter. La colline de Mandalay possède toute une population de poules protégées par le roi ; pendant un certain temps il y a fait déposer chaque jour une centaine de ces volatiles rachetés par lui de la mort, et ses sujets, entrant dans les sentimens de leur maître, ne cessent d’y apporter des corbeilles de grains pour la nourriture de ces créatures, qui pullulent et prospèrent. L’excédant de leurs œufs fait le régal d’une colonie de chiens qui s’est établie à proximité, et voilà comment un roi, fidèle disciple de Bouddha, sait travailler au bien de tous les êtres animés. Ce ne fut pas assez pour lui, il finit par déclarer que la ville de Mandalay et le territoire environnant, dans le rayon d’un mille, étaient une terre sacrée sur laquelle on ne pouvait ôter la vie à aucun être. Il en résulta une sorte de disette partielle, dont souffrirent beaucoup tous les habitans non-bouddhistes de Mandalay, les Arméniens, les musulmans ; on ne trouvait plus d’animaux comestibles sur le marché de la capitale. Cependant cet état de crise ne fut pas de longue durée : quand le premier moment de surprise fut passé, les viandes reparurent ; les animaux étaient tués en dehors du rayon prescrit et apportés de bonne heure en ville au marché. Le roi, gardien vigilant des préceptes moraux, se préoccupe aussi d’inculquer à ses sujets les enseignemens les plus élevés du bouddhisme, ou du moins de les leur rappeler et de leur en inspirer l’amour : il a donc résolu de faire graver tout l’Abhidhamma (composé de sept ouvrages de métaphysique) sur des pierres destinées à être placées comme bornes milliaires le long des grandes routes de l’empire. M. Bastian a vu dans les cours du palais des ateliers où des centaines d’ouvriers étaient occupés les uns à équarrir des blocs de pierre pour en faire des pilastres, les autres à y graver des inscriptions qu’on lui dit être le texte de l’Abhidhamma.

C’est à cet ardent zélateur du bouddhisme, à un roi presque à moitié moine, que M. Bastian eut l’avantage d’avoir affaire ; je dis l’avantage parce que ses relations avec Mendun-Min, prince doué par nature et par éducation de cette débonnaireté qui est l’un des traits essentiels de sa religion et que la royauté ne paraît pas avoir sensiblement altérée chez lui, furent en somme plutôt favorables que contraires à ses desseins, bien qu’elles ne fussent pas toujours sans inconvénient ni même sans danger.


II

En quittant Rangoun, M. Bastian se proposait de remonter l’Iraouaddy jusqu’à Mandalay, de séjourner dans cette ville pour y