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manger toute espèce de viande, pourvu qu’elle ne provienne pas d’un animal qu’ils auraient eux-mêmes tué. M. Bastian ayant demandé à un Birman par quel motif ils élevaient tant de volaille apprit de lui que c’était à cause du chant matinal du coq et en vue des combats de coqs dont on est très friand dans le pays. On ne mangeait, ajoutait-il, que la chair de ceux de ces animaux qui mouraient de vieillesse ; mais les Birmans n’observent pas très rigoureusement l’abstinence dont ils se vantent, et ils ont bien des moyens d’esquiver la défense qui leur est faite d’ôter la vie à aucun être, quoiqu’il évitent l’acte directement meurtrier avec un scrupule étonnant. M. Bastian en eut bientôt la preuve. Arrivé à Prome, il eut à se pourvoir d’un cuisinier, celui qu’il avait amené de Rangoun et qui était bengali (non bouddhiste) l’ayant quitté. Il s’arrangea avec un Birman ; comme il allait partir et qu’il lui fallait des provisions, il ordonna immédiatement à son nouveau serviteur d’aller au marché acheter une douzaine de poules. — Des poules ! et pourquoi faire ?

— Pourquoi faire, lourdaud ? Pour les manger sans doute !

— Mais, votre honneur, les poules sont vivantes.

— Eh ! tant mieux, elles n’en sont que meilleures, si on les garde en vie et qu’on les tue chaque jour. — Le cuisinier faillit tomber à la renverse ; il déclara qu’il était prêt à rôtir les poules, à les apprêter de toutes les manières, mais que jamais il ne donnerait la mort à d’innocentes créatures. Bref, il donna des marques d’un si violent désespoir à la pensée des meurtres qu’on voulait lui faire commettre que M. Bastian fut obligé de se passer de cuisinier.

On peut juger par cet exemple de la puissance des idées religieuses, quels que soient les détours qu’on emploie pour en éluder l’esprit. Les cinq préceptes de ne pas tuer, de ne pas voler, de ne pas mentir, de ne pas commettre d’adultère, de ne pas boire de liqueurs enivrantes, composent la loi morale imposée par le bouddhisme à tous les hommes. Observer ces commandemens, rendre hommage à Bouddha, à sa loi et à l’assemblée de ses prêtres, ou, comme on dit en langage dévot, reconnaître la supériorité des trois joyaux, par conséquent vénérer les reliques et les images qui rappellent le premier, les livres qui contiennent le second, et la nombreuse population monastique qui constitue le troisième, tels sont les devoirs des laïques. Ils font donc des pèlerinages aux lieux sacrés, se réunissent aux phases de la lune pour lire et expliquer en commun les livres religieux, et donnent l’aumône aux moines, qui forment la vraie société bouddhique. Ces moines sont soumis à une discipline très sévère et très minutieuse, que le plus grand nombre observe très imparfaitement, mais à laquelle plusieurs se soumettent