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placé, s’était plaint au roi, et le roi avait fait administrer des coups de rotin au gouverneur. Au bout de quelque temps, M. Bastian revoyait à une audience du roi ce magistrat, qui en faisait les honneurs, et qui lui tendit la main très amicalement : à son air alerte et empressé, on eût dit un favori qui n’avait jamais reçu de son roi que des marques de faveur.

On se représente facilement quel doit être l’état d’un peuple où les plus hauts fonctionnaires sont traités de la sorte : il souffre à la fois de leur incurie et de leur rigueur. Exécuter violemment les ordres supérieurs et ne pas s’inquiéter du reste, tel paraît être le système des agens du gouvernement. Aussi le pays est-il en proie aux voleurs. M. Bastian a vu des villages, des monastères même abandonnés à la suite des spoliations répétées dont ils avaient été victimes. Dans plusieurs cantons, les zayat sont entourés d’un fossé et d’une palissade, tout disposés en un mot pour permettre de repousser une attaque, et M. Bastian rencontra une caravane de marchands qui disait avoir soutenu un siège contre des bandits dans un de ces zayat pendant deux jours et deux nuits. La configuration du sol favorise à la vérité le brigandage, et il est difficile de saisir les bandits dans les jungles où ils se réfugient ; le gouvernement anglais lui-même n’y parvient pas, et les provinces qui lui sont soumises souffrent aussi de ce fléau. Le vol est provoqué par la misère, et la misère causée en grande partie par les exigences sans cesse renaissantes de l’autorité. M. Bastian allait partir d’un village quand arrive un ordre du gouverneur de la province à l’adresse du magistrat : celui-ci ne pouvant en prendre connaissance à cause de la faiblesse de sa vue, M. Bastian fait lire la lettre par son domestique ; c’était un ordre de fournir dans un délai fixé une certaine quantité de bois de construction. L’infortuné magistrat était au désespoir ; il venait d’avoir tout récemment à exécuter un ordre semblable ; une coupe commencée avait été interrompue : les arbres étaient engagés dans la vase, le pays abandonné, il n’y avait ni bras ni moyens de transport. Ainsi on est toujours sur le qui-vive, et le malheur que l’on redoute fait autant de mal que celui dont on est frappé. Arrivé au poste le plus voisin de la frontière siamoise, M. Bastian, qui était venu à dos d’éléphant, discutait avec le magistrat civil indigène pour obtenir de nouvelles bêtes à la place des anciennes ; les conducteurs qui venaient d’achever l’étape se présentèrent pendant ce temps-là pour être payés. M. Bastian les pria d’attendre ; quand il eut fini et voulut les rejoindre, il ne les trouva plus, et fut obligé de remettre leur salaire au chef du poste. Ces pauvres gens, ayant entendu dire qu’on manquait d’éléphans, s’étaient empressés de prendre la fuite avec les leurs, de peur d’être contraints de