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heureux présage pour la prise de la ville elle-même. Il ne faut donc pas s’étonner si le génie protecteur de Mandalay, dont la statue est érigée sur la colline, montre du doigt le palais, et songe, dit-on, à quitter un jour ce lieu pour se retirer plus loin dans les montagnes. Ces bruits et ces préoccupations étranges sont un indice des pressentimens qui agitent les Birmans : ils ne sont pas bien rassurés sur la destinée de leur nouvelle ville, qui, malgré l’éclat et la beauté des constructions toutes neuves, a l’air, dit M. Bastian, de n’être en quelque sorte qu’un campement de nomades. Sachant combien de fois la capitale de l’empire a changé dans le cours des siècles et quels voisins entreprenans et redoutables sont établis près d’eux, les Birmans ne peuvent se dissimuler la probabilité d’un changement nouveau, qui n’est peut-être pas fort éloigné. Aussi doit-on surveiller les vases pleins d’huile déposés dans les fondations, car si l’huile venait à y manquer, ce serait un avertissement qu’il faut transporter ailleurs la ville royale.

Mandalay se compose de trois enceintes carrées renfermées les unes dans les autres et qui forment comme autant de villes distinctes : la première, celle du centre, est la résidence exclusive du roi, de sa famille et de ses serviteurs ; la seconde est la ville des dignitaires, des officiers et des soldats ; la troisième est la ville véritable, celle du peuple, la ville du commerce, de l’industrie, du travail. Cette dernière est ouverte et sans enceinte fortifiée ; pour toute défense, chaque entrée est pourvue d’un poste de soldats et ornée d’une figure d’animal marquée des différens sceaux du roi. Devant cette figure est celle d’un bilou, monstre très redouté des Birmans ; il a sur l’épaule une épaisse massue pour châtier les soldats de garde, s’ils venaient à s’endormir, car ces statues ne sont pas de vains simulacres : elles recèlent des génies qui savent faire sentir au besoin leur présence. Il s’en faut bien que les habitans de Mandalay occupent tout le vaste espace compris dans la troisième enceinte ; néanmoins la population y est déjà considérable, et les rues de Mandalay sont le théâtre d’un mouvement animé ; une foule bariolée et affairée les remplit du matin au soir. Les gens de Manipour et des contrées septentrionales y exercent diverses industries et passent pour les ouvriers les plus habiles ; les Siamois s’y livrent aux jeux scéniques, qui ont un grand attrait pour le peuple ; les Arméniens y font la banque ; les Chinois y ont un bazar bien fourni. Les grands personnages, en parcourant la ville, ajoutent à la physionomie pittoresque des rues par leur brillant appareil et leur suite nombreuse ; mais ils embarrassent la circulation par leurs exigences et leurs privilèges. Entre la ville royale et la ville extérieure est l’enceinte réservée aux grands dignitaires,