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florissantes ou devant des ruines qui rappellent un passé glorieux. Cette vallée peut être considérée comme le berceau du peuple birman, dont les plus brillantes capitales ont toujours été sur les bords de l’Iraouaddy, de telle sorte qu’en remontant le fleuve on peut suivre, pour ainsi parler, les vicissitudes de l’empire, retrouver les souvenirs de sa gloire, reconnaître les traces de ses revers et de son abaissement. La première ville importante que l’on rencontre est Prome, aujourd’hui territoire anglais, mais qui fut la capitale des Birmans après Tagoung, et à une époque que l’on fait remonter à plusieurs siècles avant l’ère chrétienne. Elle fut fondée par Dvattabong (le fils des deux frères), c’est-à-dire favori du roi des Nâgas (ou serpens), dont le corps lui servit à marquer l’enceinte de la nouvelle ville, et d’Indra, qui lui donna un troisième œil avec lequel il pouvait tout voir et une lance avec laquelle il pouvait tout faire. L’orgueil lui fit perdre tous ces avantages : sa postérité s’éteignit bientôt, et après une dynastie nouvelle, qui eut un moment d’éclat, l’empire disparut au milieu des guerres civiles ; il ne tarda pas toutefois à se reconstituer un peu plus loin. De vastes ruines, connues sous le nom de Ville de l’Ermite, marquent encore aujourd’hui l’emplacement de cette antique capitale. La ville nouvelle conserve le souvenir de Dvattabong, dont le nom est sur toutes les lèvres et les aventures dans toutes les mémoires. Plusieurs statues le représentent avec son troisième œil. Au sujet de l’une, on prétend que cet œil merveilleux passait tous les deux jours d’une joue sur l’autre ; sur une autre statue, ce même signe a presque entièrement disparu sous les baisers des adorateurs. Le plus bel édifice de Prome est sa grande pagode toute dorée, située sur une plate-forme à laquelle on arrive par un escalier en pierre que gardent de colossales figures de lions. La cour est remplie de kiosques, de pavillons, de chapelles. L’édifice renferme des statues de Gautama en briques, recouvertes de stuc et enduites d’un vernis noir qui a reçu ensuite une dorure. De la pagode, on découvre toute la vallée : le demi-cercle qu’elle forme en s’élargissant dans cet endroit est rempli de monastères, et les hauteurs qui l’entourent présentent une ceinture de pagodes. En face de Prome, une haute colline s’avance comme un cap dans le lit du fleuve ; de la cime, l’œil embrasse d’un côté une chaîne de montagnes couverte d’épaisses forêts et qui s’étend à perte de vue, de l’autre l’Iraouaddy traçant une large ligne à travers les eaux verdâtres de la mer ; devant soi, à ses pieds, on a la ville de Prome et sa grande pagode dorée. La montagne est sacrée, car Gautama y a prédit la fondation et la grandeur de Prome, et un petit temple y renferme deux idoles qu’on appelle « les ancêtres, » et qui paraissent