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gligé une si bonne occasion de l’appeler un avocat. J’avoue aussi qu’il est très peu question de la nature dans sa correspondance, et cela est plus surprenant; mais il serait fort téméraire d’en conclure qu’il ne l’aimait pas. On sait combien il avait de villas, et toutes dans des sites charmans. Il n’a pas fait comme Voltaire, dont la maison de campagne tourne le dos au lac de Genève. Les siennes jouissaient de vues admirables, et le soin qu’il a pris d’y placer la scène de ses principaux dialogues montre qu’il comprenait combien un si beau cadre devait embellir ses tableaux, et tout le plaisir qu’on doit éprouver à converser avec des gens d’esprit sur les collines ombragées de Tusculum, aux bords enchanteurs du Liris ou en face de la mer de Naples.

La meilleure partie de la dissertation de M. Secretan est celle qui traite des écrivains de l’empire. La matière était riche. Ces écrivains aiment beaucoup plus à décrire la nature que ceux de la république. Cette veine était nouvelle; la poésie épuisée essaya de se rajeunir en l’exploitant. Elle prit l’habitude de dire tout ce qu’autrefois elle se contentait d’éprouver. Voilà pourquoi depuis les Amours d’Ovide jusqu’à la Moselle d’Ausone les descriptions abondent chez les auteurs latins. C’est d’ailleurs la pente naturelle de la poésie de se faire de plus en plus personnelle. A mesure qu’elle vieillit, elle se ramène en soi. Dans les littératures de décadence, le poète ne cesse plus de se mettre en scène et de se chanter. S’il décrit alors volontiers, c’est qu’il se fait le centre de ses descriptions, et il cherche moins à nous faire connaître la nature que la manière dont il la sent. C’est encore une façon de parler de lui. M. Secretan fait observer avec raison que ce goût du pittoresque fut favorisé par l’habitude que prirent les riches Romains de visiter les contrées éloignées de l’empire. On avait jusque-là voyagé par nécessité, pour aller achever son éducation à Athènes, ou gouverner quelque province lointaine. On voyage alors par curiosité. Il n’est plus possible de se mêler des affaires publiques; on se sent désoccupé, on s’ennuie, et pour se distraire on court le monde. Or quand on se décide à quitter sa maison, à traverser la mer, à errer par les grands chemins, c’est un peu avec le parti-pris d’admirer. On ne voudrait pas avoir perdu son temps et sa peine. On est ravi de voir du nouveau, et l’ancien même paraît nouveau, car on ne s’était pas encore avisé de le remarquer. Lorsqu’on sort de chez soi, l’attention est plus éveillée. On observe mille choses qui n’avaient pas frappé jusque-là, et l’on revient avec un esprit plus ouvert et une admiration plus facile. Le plus intrépide des touristes de cette époque fut l’empereur Hadrien. Il visita plusieurs fois la Grèce et l’Asie, et parcourut le monde entier. Il allait voir partout les beaux sites et les monumens curieux. Il gravit le mont Cassius, près d’Antioche, et l’Etna pour voir lever le soleil. En Égypte, il voulut entendre chanter la statue de Memnon au lever de l’aurore. On a retrouvé sur le colosse les vers qu’une des femmes de l’impératrice présente à ce spectacle y fit inscrire; dans ces vers, elle rappelle